Editorial du « Monde ». L’on a assez, dans ces colonnes, déploré les ankyloses de la démocratie française pour ne pas accueillir avec intérêt toute initiative susceptible d’en améliorer le fonctionnement. Ses causes sont connues : un président surpuissant et un Parlement sous tutelle privent le pouvoir exécutif de contrepoids salutaires, l’isolent du peuple et entravent la respiration démocratique du pays. Les conséquences sont tout aussi avérées : abstention électorale croissante, défiance à l’égard des gouvernants et convulsions sociales à répétition, dont le mouvement des « gilets jaunes » offre aujourd’hui un exemple spectaculaire.

Il est donc symptomatique que ce mouvement, au-delà des revendications en matière de pouvoir d’achat, de justice sociale et fiscale, débouche sur une exigence politique : (re)donner aux citoyens le pouvoir de participer directement aux affaires et aux choix du pays. Les Français qui ont pris la parole entendent la conserver et exercer ce droit grâce à l’instauration du référendum d’initiative citoyenne, le « RIC ».

La Constitution a prévu que la souveraineté nationale puisse s’exercer par la voie du référendum. Cela a été le cas à neuf reprises depuis 1958, mais cette procédure solennelle et excessivement plébiscitaire s’est peu à peu étiolée, soit qu’elle se soit heurtée à l’indifférence des électeurs (instauration du quinquennat en 2000), soit que son résultat ait ensuite été contourné (Constitution européenne en 2005). La réforme constitutionnelle de 2008 a ajouté la procédure du référendum d’initiative partagée. Mais ses conditions d’organisation sont si drastiques (initiative d’au moins 20 % des parlementaires, soutenus par 10 % des électeurs inscrits) qu’elle est restée lettre morte.

La prudence du gouvernement

A l’instar des votations suisses, le référendum d’initiative citoyenne (ou populaire) a pour ambition d’accorder aux citoyens l’initiative de déclencher une consultation nationale sur un sujet de leur choix. Prudemment, le gouvernement, par la voix du premier ministre, et le Parlement, par la voix du président de l’Assemblée nationale, se sont dits prêts à explorer une telle innovation. Mais ils y ont mis quelques conditions. A juste titre. Comme le souligne sur Le Monde.fr le professeur Dominique Rousseau, trois questions doivent, en effet, être clarifiées au préalable.

La première est relativement simple : elle porte sur le nombre de citoyens (700 000, 800 000, 1 million ?) dont la signature serait requise pour enclencher la procédure. Les deux autres sont beaucoup plus épineuses. D’une part, quel pourrait être l’objet du référendum : n’importe quel sujet (et pas seulement des projets de réforme) dont se saisiraient ces citoyens, voire, comme le réclament certains, la possibilité de révoquer des responsables publics ou même de changer de Constitution ? D’autre part, les questions soumises à de tels référendums seraient-elles assujetties, comme les textes votés par le Parlement, au contrôle par le Conseil constitutionnel du respect des principes fondamentaux du droit et, au premier chef, de la Déclaration des droits de l’homme ?

De la réponse à ces questions dépend la nature même de telles consultations d’initiative populaire. Sur des domaines convenus et sous contrôle du juge constitutionnel, elles peuvent utilement revivifier l’exercice démocratique. Si elles se développaient tout-terrain et sans contrôle de constitutionnalité, elles ouvriraient la voie aux démagogies les plus débridées et les plus dangereuses.