Le 10 décembre à Luxembourg. / Geert Vanden Wijngaert / AP

La Cour de justice de l’Union européenne (UE) a confirmé, lundi 17 décembre dans la soirée, par une ordonnance, que « la Pologne doit suspendre immédiatement l’application des dispositions nationales relatives à l’abaissement de l’âge de départ à la retraite des juges de la Cour suprême ».

Le 2 octobre, saisie par la Commission européenne pour manquement aux règles de l’UE, la Cour de Luxembourg avait déjà, mais seulement « provisoirement », validé une demande allant dans le même sens : la suspension de la loi polonaise sur la Cour suprême.

Cette loi entrée en vigueur le 3 avril 2018 abaisse à 65 ans l’âge de départ à la retraite des juges de la Cour suprême, ce qui revient dans la pratique à écarter d’office 30 % des membres de l’institution. La Commission considère que ces mesures « portent atteinte au principe de l’indépendance des juges ». C’est pour éviter d’en arriver à une situation irréversible que l’institution communautaire s’est décidée à lancer, début juillet 2018, une procédure en infraction, qui a logiquement conduit à la saisine de la Cour de justice de l’UE, Varsovie refusant alors toute concession.

Ce 17 décembre, les juges de la Cour de Luxembourg ont donc confirmé toutes les mesures provisoires réclamées par Bruxelles. Ils ordonnent notamment à la Pologne de réintégrer les juges déjà mis à la retraite du fait de la nouvelle loi. Certes, il ne s’agit pas encore de leur jugement définitif sur le fond (le manquement aux lois de l’UE), mais ils considèrent tout de même la demande de mesures provisoires pleinement justifiée au motif que « l’application des dispositions nationales litigieuses […] est susceptible de causer un préjudice grave et irréparable au regard de l’ordre juridique de l’Union ».

Machine arrière

Anticipant cette décision de la CJUE, la majorité ultraconservatrice du PiS au pouvoir à Varsovie a décidé de faire machine arrière. Le Parlement polonais a adopté, le 21 novembre, en un vote expéditif de trois heures et demie, une version amendée de son texte sur la Cour Suprême. Tous les juges envoyés à la retraite d’office, dont trois présidents de l’institution, sont censés revenir à leur poste jusqu’au terme de leur mandat. Lundi dans la soirée, le président Andrzej Duda a promulgué le texte, rendant la plainte de la Commission nulle et non avenue.

« Il y a aussi une course contre la montre concernant les nominations de juges dans les tribunaux de droit commun », Krystian Markiewicz, président de l’Association des juges polonais Iustitia

De l’aveu même des membres de la majorité, il s’agissait avant tout d’éviter de potentielles sanctions financières. Mais par ce geste, le parti de Jaroslaw Kaczynski espère aussi enterrer définitivement le conflit avec Bruxelles autour de l’Etat de droit, devenu de plus en plus gênant. Des spéculations autour d’une possible non-reconnaissance par le gouvernement des arrêts de la CJUE avaient permis à l’opposition de brandir la menace d’un « Polexit symbolique », mettant la majorité dans l’embarras, alors que la société polonaise reste globalement très attachée à son appartenance à l’UE.

« Les mécanismes de pression du pouvoir exécutif sur les juges sont déjà en place et fonctionnent, indépendamment de l’ordonnance de la CJUE, regrette pour sa part Krystian Markiewicz, le président de l’Association des juges polonais Iustitia. Il s’agit avant tout des nouveaux mécanismes disciplinaires, dont le pouvoir abuse. Il y a aussi une course contre la montre concernant les nominations de juges dans les tribunaux de droit commun, et à cet égard, le problème est la politisation du Conseil national de la magistrature. »

Si la saisine de la Cour de Luxembourg semble avoir porté ses fruits, il n’en est pas de même pour la procédure dite « article 7 », recommandée il y a un an par la Commission, mais totalement enlisée au Conseil (Etats membres). Inédite, considérée comme une « arme atomique », cette procédure porte sur les « risques clairs de violation grave à l’Etat de droit » dans un pays de l’UE, et peut conduire théoriquement jusqu’à la suspension de ses droits de vote au Conseil.

Mais le quorum de quatre cinquième des 28 Etats membres nécessaire pour l’enclencher semble toujours inatteignable, la Hongrie ou les pays baltes refusant de s’associer à une démarche jugée trop stigmatisante. Pourtant, mardi 11 décembre, lors du dernier conseil des ministres des affaires européennes de l’année, il a été décidé de ne pas jeter l’éponge. La France et l’Allemagne insistent pour maintenir cette forme de pression politique sur Varsovie, « même si elle est de très long terme », explique un diplomate européen, parce qu’elle porte sur l’ensemble des réformes de la justice dans le pays.