Marc Ravalomanana (à gauche) et Andry Rajoelina attendent de participer au débat organisé par la télévision nationale, le 9 décembre 2018. / AFP

Le verdict des urnes approche pour les deux grands rivaux de la scène politique malgache. Mercredi 19 décembre, Andry Rajoelina, 44 ans, et Marc Ravalomanana, 69 ans, seront face à face pour le second tour de l’élection présidentielle, au terme d’une campagne au cours de laquelle aucun n’a retenu ses coups ni compté ses dépenses pour reconquérir le soutien des Malgaches, dont un peu plus de 10 millions sont appelés à voter.

Avec 39,23 % des suffrages obtenus au premier tour pour M. Rajoelina et 35,35 % pour M. Ravalomanana, les deux ex-présidents ont cantonné au rôle de figurants les 34 autres prétendants. Y compris le président sortant, Hery Rajaonarimampianina, qui, avec moins de 9 % des voix, subit une sévère sanction. Il n’a donné aucune consigne de vote.

Le taux d’abstention, d’un peu moins de 46 % le 7 novembre, demeure une inconnue, tout comme le vote blanc, qui a fait un score de 7 %. « L’appel au vote blanc exprime le refus de choisir entre des hommes dont on connaît le passé et une lassitude générale à l’égard de politiques qui ne changent pas le quotidien », analyse Juvence Ramasy, maître de conférences à l’université de Toamasina.

Le duel s’annonce donc serré et aucun observateur politique ne se risque à un pronostic sur l’issue de ce scrutin, dont l’enjeu semble autant d’offrir au vainqueur une revanche personnelle que d’apporter un avenir meilleur à ce pays classé parmi les dix plus pauvres du monde.

Envolée des trafics

De fait, les promesses ne manquent pas. En particulier dans le programme de M. Rajoelina, où sortent de terre une nouvelle capitale, des universités dans chaque région, des centrales électriques dans chaque chef-lieu de district… Il promet aussi de multiplier par quatre les subventions aux communes, d’augmenter de 100 000 hectares les superficies de rizières en cinq ans, d’accroître de 20 % les effectifs des forces de l’ordre.

Son concurrent est plus mesuré et s’engage surtout à approfondir les réformes économiques et le programme de grands travaux entamés sous ses précédentes mandatures (2002-2009). Ils ont cependant en commun de n’avancer aucun chiffrage précis, ni aucune source de financement de ces nouvelles dépenses, en dehors d’un appel aux bailleurs de fonds ou à l’investissement privé.

Même si les deux hommes n’ont cessé de répéter qu’ils ne voulaient plus se tourner vers le passé, l’ombre de la crise de 2009, dont ils furent les protagonistes, continue de planer. Celle-ci leur valut une interdiction de se présenter en 2013. Dans les esprits, M. Rajoelina, alors jeune maire d’Antananarivo, reste en effet le tombeur du magnat de l’agroalimentaire, accusé de dérive autoritaire et tenu pour responsable de la mort d’une trentaine de manifestants lors des émeutes de février 2009. M. Ravalomanana se trouve d’ailleurs toujours sous le coup d’une condamnation aux travaux forcés à perpétuité, pour laquelle il a fait appel.

Propulsé, avec le soutien de l’armée, président d’une Haute Autorité de la transition, M. Rajoelina n’a jamais réussi à effacer son étiquette de « putschiste ». Ces quatre années de pouvoir ont aussi été marquées par l’envolée des trafics de ressources naturelles, en particulier du bois de rose à destination de la Chine. Lors des deux débats télévisés organisés les 9 et 16 décembre, son adversaire l’a interpellé sur l’origine des fonds utilisés par le régime de la transition, privé d’une grande partie de l’aide internationale pour être sorti du cadre constitutionnel.

Radicalisation des discours

L’attaque n’était pas innocente. En février 2016, le parquet national financier de Paris a ouvert une enquête préliminaire pour des soupçons de « blanchiment en bande organisée, corruption et fraudes fiscales » à l’encontre de l’homme d’affaires Maminiaina Ravatomanga, dit « Mamy ». Les magistrats, qui ont demandé une entraide judiciaire à Madagascar, s’interrogent sur la provenance de l’argent ayant permis à ce très proche de M. Rajoelina d’acquérir des biens immobiliers en France pour un montant de 4,5 millions d’euros. La piste du bois de rose est évoquée.

A ce stade, rien ne permet, dans le dossier parisien, d’établir un lien entre les soupçons de malversations à l’encontre de « Mamy » et le candidat Rajoelina. Face aux rumeurs, l’ambassade de France a pris soin de publier un communiqué, le 14 décembre, affirmant qu’« aucun candidat n’est concerné par une procédure de la justice française ». Toutefois, l’enquête – qui est loin d’être terminée, dans l’attente d’informations de l’île Maurice, où M. Ravatomanga exerce une partie de ses activités – laisse en suspens une grande interrogation.

Face à la radicalisation des discours et dans le scénario d’un scrutin très serré, des analystes mettent en garde contre un rejet des résultats par le perdant. « M. Ravalomanana a dit qu’il se pliera aux résultats. Les accusations de fraudes qu’il profère de façon répétée laissent cependant penser qu’il n’exclut pas de les contester. M. Rajoelina, en revanche, ne s’est jamais engagé », souligne Eva Palmans, directrice des programmes du Centre européen de soutien électoral à Antananarivo, qui note que sur le terrain, des affrontements physiques ont été observés entre les partisans des candidats. Aucun des deux n’a signé la charte de bonne conduite élaborée par les organisations de la société civile et soumise aux 36 candidats avant le premier tour.

Menace de sanctions

Pour limiter les marges de contestation, la Commission électorale nationale indépendante (CENI) s’est efforcée de corriger les dysfonctionnements du premier tour. Quelque 600 000 cartes d’électeurs « oubliées » ont été distribuées. Les responsables des bureaux de vote où des irrégularités ont été relevées ont été remplacés. Et le logiciel de transmission des résultats a été soumis à un audit international pour en améliorer la fiabilité. Les premiers résultats provisoires devraient être rendus publics au plus tard le 30 décembre, a annoncé la CENI.

Les deux finalistes ont quoi qu’il en soit été prévenus par les partenaires étrangers qui soutiennent le processus électoral et jouent depuis plusieurs mois les médiateurs, pour limiter les tensions, que toute violation des règles les exposerait à des sanctions.

En marge du « dialogue stratégique » organisé vendredi entre le gouvernement et les bailleurs de fonds, le ministre de la défense a réaffirmé que l’armée entendait se montrer garante de l’ordre constitutionnel et qu’elle saurait prendre ses responsabilités si la stabilité de la Grande Ile se trouvait menacée. Des mesures ont été prises pour sécuriser les principales institutions et un réseau de renseignement a été mis en alerte dans les zones jugées sensibles pour pouvoir intervenir rapidement en cas de débordements.