L’avis du « Monde » – à voir

Si l’on veut tout savoir de Jean-Michel Basquiat, de ses origines à son empreinte sur l’art contemporain, mieux vaut chercher une somme – ce qu’aurait voulu être le biopic Basquiat (1996) signé Julian Schnabel – sur papier, pellicule ou support numérique. Le film de Sara Driver – et son titre – n’en fait pas mystère, se concentre sur les quelques années qui séparent l’irruption de Basquiat sur les murs du sud de Manhattan de ses premiers succès commerciaux dans les galeries.

L’auteure était là. Productrice, actrice, compagne du cinéaste Jim Jarmusch, elle a navigué dans le maelström de créativité, de stupéfiants et de violence, qui faisait bouillonner New York du milieu des années 1970 (l’explosion punk) à celui des années 1980 (la chape de plomb du sida). Plutôt que se reposer sur ses propres souvenirs, Sara Driver a cherché dans la mémoire de ses contemporains, qui sont aussi ceux du peintre, les traces que ce dernier a laissées. Le résultat relève plus de l’évocation magique que du portrait officiel, ce qui convient bien à l’art et à la personne de Jean-Michel Basquiat, agitateur politique et fabricant d’icônes vaudoues. On se perd dans cet entrelacs de réminiscences, de regrets et de nostalgie comme dans une longue conversation entre témoins d’un événement inoubliable.

Le film commence par une évocation saisissante de la faillite qui guettait la ville de New York en 1975

Basquiat, un adolescent à New York commence par une évocation saisissante de la faillite qui guettait la ville en 1975. Les images du délabrement de Soho, de Times Square – devenus depuis pour l’un l’épitomé de l’élitisme consumériste, pour le second le lieu saint de la diffusion de masse des biens culturels – donnent une idée de l’abîme (quatre décennies seulement, pourtant) qui sépare aujourd’hui de ce temps barbare et superbe.

Sur les murs lépreux du Village et de Soho, on vit apparaître (et on les voit à l’écran) les aphorismes provocants (parce qu’on avait toujours l’impression qu’il manquait une information essentielle pour les comprendre tout à fait, tout en ayant l’intuition qu’ils étaient d’une rare pertinence) d’un graffeur qui signait Samo. Amantes, bienfaitrices, collègues en dégradation de mobilier urbain, racontent comment Samo est devenu Basquiat.

Hip-hop et démons intimes

Les témoins sont aujourd’hui au moins sexagénaires. On devine ceux qui sont passés du côté de ce système qui a à peine eu le temps de coopter l’artiste avant qu’il meure, en 1988, à 27 ans, d’une surdose d’héroïne, et ceux qui restent fidèles à l’impulsion anarchiste qui unissait, dans les rues de New York, les rockers et les cinéastes, les plasticiens et les poètes, les Ramones et Jim Jarmusch, Keith Haring et Patti Smith.

La manière impressionniste de Sara Driver n’empêche pas son film de formuler quelques vérités : les interventions de l’artiste, rappeur et présentateur Fab Five Freddy soulignent la très proche parenté qui unissait Jean-Michel Basquiat au hip-hop émergent, pendant que ses compagnes laissent voir la circulation entre l’œuvre et les démons intimes de l’artiste.

Tout au long (et le film ne l’est guère) d’Un adolescent à New York, l’équilibre entre témoignages et archives est miraculeusement maintenu. On retiendra les séquences qui montrent le « Times Square Show » de 1980, exposition qui marqua à la fois l’apogée du mouvement spontané né dans les rues et les squats du sud de Manhattan, et le début de son apprivoisement par les galeristes et les commissaires d’exposition. Dans un lieu miteux, les œuvres sont exposées sans souci de leur préservation, une foule d’une beauté inquiétante (surtout pour la santé de ses membres) traverse cet espace inimaginable aujourd’hui, qui reprend un semblant de réalité par la grâce de ce beau film.

BASQUIAT - Bande Annonce
Durée : 02:01

Documentaire américain de Sara Driver (1 h 18). Sur le Web : www.le-pacte.com/france/prochainement/detail/basquiat