LCP, mercredi 19 décembre à 20 h 30, documentaire

Bertrand Tavernier avait pris pour sujet de son film fleuve Laissez-Passer (2002) la société­ Continental-Films, établie en France par les nazis pendant l’Occupation. Cette société de production française à capitaux allemands, communément dite « la Continental », fut le terrain ambigu de compromissions, de doubles jeux, mais aussi un tremplin pour de jeunes cinéastes qui y firent leurs débuts.

Il paraissait naturel que Tavernier, en tant qu’auteur de ce film (qu’il n’évoque d’ailleurs jamais), mais aussi au titre de sa connaissance prodigieuse du cinéma, participe au passionnant documentaire de Claudia Collao pour la chaîne OCS – qui le rend disponible sur son service de rediffusion à la demande, tandis que La Chaîne parlementaire (LCP) le propose en première partie de soirée ce mercredi 19 décembre.

Se joignent au témoignage précieux et piquant du cinéaste ceux de Jean-Ollé Laprune et Pascal Mérigeau (historiens et journalistes de cinéma), Pascal Ory (dont l’un des terrains de recherche, parmi les multiples sujets auquel ce spécialiste de l’histoire sociale de la France s’est attaché, est la France de l’Occupation), et, entre autres, le dramaturge à succès Pierre Barillet (qui avait 20 ans en 1943).

Détails savoureux et érudits

Le fil conducteur de ce documentaire est la figure mystérieuse et paradoxale d’Alfred Greven (1897-1973). Cet Allemand, proche ami de Hermann Göring depuis la première guerre mondiale, est nommé à Paris par Joseph Goebbels, ministre de la propagande du IIIe Reich, directeur de Continental-Films, dont le but, rappelle Bertrand Tavernier, était de produire « des films anodins, sans ambition particulière – des films qui endorment le spectateur… »

Mais Greven, qui accroche chaque matin son manteau et son chapeau sur un buste d’Adolf Hitler dans son bureau de l’avenue des Champs-Elysées, témoigne d’« une étrange liberté », ainsi que le formule Tavernier. Contredisant à plusieurs reprises les ordres de Goebbels – qui n’impose pourtant pas de propagande à la production française de la Continental –, il s’ingénie à produire des longs-métrages de qualité.

La Continental adapte même Zola et Maupassant, auteurs pourtant mis à l’index par les nazis

Ce francophile, qui « connaît très bien le cinéma français et sait qui sont les meilleurs », rappelle Jean Ollé-Laprune, laisse la bride sur le cou de ses poulains scénaristes et réalisateurs. Il encourage des scènes que la censure du gouvernement de Vichy aurait refusées. La Continental adapte même Zola et Maupassant, auteurs pourtant mis à l’index par les nazis.

Plus étonnant encore, Alfred Greven engage des juifs, et aurait lancé : « Pour le cinéma, les juifs sont les plus forts ! » Trente films seront produits entre 1941 et 1944. Pas tous des chefs-d’œuvre (les nanars de Fernandel…), mais quelques grands classiques sur lesquels les intervenants reviennent en détails savoureux et érudits.

Alors que le Reich s’effondre, Greven commence à bâtir une Cité du cinéma au Mesnil-le-Roi, dans les Yvelines. La défaite ne lui permet pas de mener ce chantier à son terme. Toujours aussi obscur et mystérieux (on ne connaît qu’un seul portrait photographique de lui), Greven retournera en Allemagne, où il produira des films parmi lesquels, s’amuse Tavernier, il n’a pu « identifier un seul qui ait un minimum d’intérêt… »

LA CONTINENTAL : LE MYSTERE GREVEN Bande annonce Documentaire OCS
Durée : 01:01

La Continental : le mystère Greven, documentaire de Claudia Collao (Fr., 2017, 52 min). www.ocs.fr