Brexit : pourquoi l’accord est encore loin d’être appliqué
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L’hypothèse aurait encore paru farfelue voilà un an. Mais le Royaume-Uni cherche plus que jamais un moyen de sortir de la crise politique dans laquelle l’a plongé le Brexit, dont le mode d’application divise profondément députés et citoyens britanniques. Et face à cette impasse, l’idée d’un nouveau référendum paraît soudain moins fantaisiste. Un choix qui serait pour autant loin de régler tous les atermoiements de Londres.

  • Pourquoi l’hypothèse d’un second référendum surgit-elle ?

La première ministre, Theresa May, a répété à de nombreuses reprises son opposition à l’idée d’un nouveau référendum. Une position réaffirmée lundi 17 décembre au Parlement par la cheffe de file des conservateurs :

« Un autre vote provoquerait des dommages irréparables à l’intégrité de notre politique, parce qu’il dirait aux millions qui ont cru en notre démocratie que notre démocratie ne fonctionne pas. »

L’idée d’un second référendum ne convainc d’ailleurs pas plus le leader travailliste, Jeremy Corbyn – qui se garde pourtant de l’assumer comme tel afin d’éviter de diviser son parti. Des dizaines de députés travaillistes se sont en effet publiquement exprimés en faveur d’un nouveau vote.

Force est de constater que le plan défendu par Theresa May, et officiellement approuvé le 14 novembre, fait l’objet d’une vive contestation parlementaire, au point que l’exécutif a préféré reporter le vote d’approbation des députés – seuls 230 des 639 élus défendaient l’accord. La possibilité d’un Brexit sans accord, un « no deal », n’est pas non plus du goût de Westminster, bien qu’une partie des députés europhobes milite pour cette option.

Dès lors, l’idée d’un second référendum commence à être étudiée de près par l’exécutif, apparaissant comme une manière de sortir de l’impasse par le haut. Il s’agirait que le peuple tranche le dilemme que les députés ne parviennent pas à résoudre.

Selon les dernières enquêtes, 45 % des Britanniques souhaitent un second référendum, 35 % y sont opposés et 20 % sans opinion.

  • Qui milite pour un nouveau référendum ?

Une partie des députés travaillistes, mais aussi des députés conservateurs, le Parti libéral-démocrate, centriste, ainsi que les indépendantistes écossais du Parti national écossais (SNP), opposés au Brexit. Lundi, le chef des libéraux-démocrates, Vince Cable, la codirigeante des Verts, Caroline Lucas, le député travailliste Chuka Umunna et Justine Greening, députée du Parti conservateur, ont remis une pétition d’un million de signatures en ce sens au 10, Downing street.

Deux anciens premiers ministres ont également apporté leur soutien à cette option : Tony Blair et John Major. Tout comme le maire de Londres, Sadiq Khan. Enfin, des collectifs citoyens tentent de peser dans le débat, notamment le groupe People’s Vote, qui milite depuis deux ans pour l’organisation d’un second référendum.

Manifestation de militants favorables et opposés au Brexit, le 18 décembre, devant le Parlement britannique. / ALASTAIR GRANT / AP

  • Quels sont leurs arguments ?

Les partisans d’un second référendum estiment que lors du premier vote, le 23 juin 2016, les électeurs n’étaient pas suffisamment informés des conséquences de leur choix, voire mal informés – les pro-Brexit n’ayant pas hésité à diffuser des informations s’étant révélées fausses. Deux ans plus tard, les principales difficultés logistiques soulevées par le Brexit ont été mises au jour, et notamment l’épineux sujet de la frontière irlandaise. Les partisans du référendum estiment qu’un retour aux urnes est indispensable pour confirmer ou infirmer le processus engagé.

L’ancien premier ministre Tony Blair a ainsi osé une comparaison : la période écoulée depuis le premier vote s’apparenterait, selon lui, à « des fiançailles », dont il s’agit désormais de dire si oui ou non elles se transformeront en mariage.

  • Qui peut décider ?

Cela serait au gouvernement d’en faire la proposition, afin que le Parlement puisse lui donner un cadre légal lors d’un vote. Les députés devraient ainsi en valider la tenue, mais aussi s’accorder sur la question posée aux électeurs.

  • Quelle pourrait être la question posée lors de ce référendum ?

C’est une grande partie du problème : il n’y a pas vraiment de consensus à ce sujet. La première option serait de revoter dans les mêmes termes que lors du référendum initial. Mais beaucoup estiment qu’il s’agirait de reproduire la même erreur, puisque l’option du « Leave » ne définit pas selon quelles modalités se ferait cette séparation.

Beaucoup défendent donc l’idée d’un référendum « pour » ou « contre » le plan négocié par Theresa May avec l’Union européenne, seul processus concret actuellement sur la table, aujourd’hui bloqué par les divisions politiques. Mais là encore, si le plan est rejeté, que faire ensuite ?

Le groupe People’s Vote estime pour sa part que la question devrait être : approbation de l’accord de Theresa May ou abandon du Brexit. Mais ce choix très orienté exclut de fait tout scénario d’un Brexit pour ceux qui ne sont pas convaincus par le plan du gouvernement, ce qui promet déjà une levée de boucliers.

D’autres plaident donc pour un entre-deux, avec trois options sur le bulletin : l’accord négocié par la première ministre, un Brexit avec un « no deal », ou pas de Brexit du tout et le Royaume-Uni reste finalement dans l’Union européenne. Une option qui pourrait être également organisée en deux tours, à savoir un premier scrutin sur le seul plan dit « de Chequers » (du nom de la résidence de villégiature des premiers ministres britanniques), et en cas de rejet, un deuxième vote « Leave » or « Remain ».

  • Dans quel délai pourrait être organisé ce second référendum ?

C’est une autre inconnue du scénario. La date du scrutin pourrait être fixée ultérieurement au vote parlementaire le validant. Selon les politologues britanniques, il faut au moins vingt-deux semaines pour organiser un tel vote.

Mais la Grande-Bretagne est censée quitter officiellement l’Union européenne le 29 mars. Cela laisse donc un calendrier très serré, à moins que cette date butoir soit suspendue par une extension de l’article 50, c’est-à-dire la notification de sortie officielle de l’UE. Mais se posera dès lors la question de la tenue au Royaume-Uni des élections européennes, qui débutent le 23 mai : si le pays est encore membre de l’UE à cette date, doit-il élire des députés européens ?

  • Quel pourrait être le résultat et pourrait-il vraiment résoudre la crise actuelle ?

Selon les dernières enquêtes, si la question de 2016 leur était reposée, 55 % des Britanniques voteraient pour rester (« Remain »), contre 48,1 % en 2016. Un résultat qui peut notamment s’expliquer par les changements démographiques dans le pays depuis le premier référendum. Les partisans du Brexit étant plus âgés, leur population diminuerait de 260 000 par an quand les anti-Brexit, plus jeunes et désormais en âge de voter, voient leur nombre grossir de 235 000 chaque année, selon une analyse publiée par Yougov.

Mais selon l’institut de sondage, l’intitulé de la question aura une grande influence sur l’issue du scrutin. Le « Remain » gagnerait ainsi à 62 % contre le seul deal de Mme May, mais moins largement si l’hypothèse du « no deal » était introduite.

Or, si le « Remain » l’emportait, il faudrait qu’il soit plébiscité pour être légitimé, sous peine de précipiter le pays dans des divisions encore plus violentes. Et empirer, finalement, la situation d’un Royaume-Uni qui n’en a assurément pas besoin.

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