Lors d’une exposition dans le Musée des civilisations d’Abidjan, le 22 novembre 2018. / ISSOUF SANOGO / AFP

Des sculptures qui parlent pour raconter l’histoire d’objets disparus : c’est une des idées fortes de l’exposition sur la « collection fantôme » du Musée des civilisations d’Abidjan, pillé lors de la grave crise post-électorale de 2011. Les objectifs de ce projet original sont de « réparer les mémoires », mais aussi de « favoriser les imaginaires et la créativité en travaillant à partir de l’absence des objets pillés, afin de sensibiliser les consciences dans la lutte contre le trafic illicite des biens culturels », explique Silvie Memel Kassi, la directrice du musée.

« Quand le musée a subi ce pillage, l’ensemble des personnes qui travaillent au musée ont continué à conter l’histoire de ces objets. Lorsqu’on a réfléchi à la “collection fantôme, on s’est dit que ce serait intéressant de travailler sur la notion du récit et de la narration, parce que la transmission, ici, en Afrique, est toujours orale », raconte Fodé Sylla, de l’association L’Art sans Frique.

« Restituer aux objets leur dimension »

Si le musée compte encore près de 15 000 objets (masques, sculptures, attributs…), il a perdu 120 pièces majeures lors du pillage et de l’anarchie qui a régné à Abidjan pendant la crise post-électorale qui a fait 3 000 morts en Côte d’Ivoire.

Enseignant au service des arts visuels de Grand Paris Sud, le plasticien français Raphaël Tiberghien a encadré des étudiants à Evry, près de la capitale française, puis à Abidjan dans le cadre de ce projet. Chaque étudiant devait créer une sculpture en y intégrant un petit haut-parleur diffusant un message ou des sons, pour l’exposition qui dure jusqu’au 28 décembre.

« L’idée est de restituer aux objets leur dimension et leur contexte », pour qu’on « considère un objet d’art comme une prise de parole et non pas juste un objet esthétique », explique M. Tiberghien. « Quand l’objet a disparu, il reste les choses qui entourent cet objet, le contexte des gens qui l’ont créé. Les sculptures sonores, c’est mélanger les objets et les éléments de langage signifiants des personnes qui les ont créées », précise-t-il.

« Tout est beau ! »

A Abidjan, les étudiants du Centre technique des arts appliqués de Bingerville et de l’Université Félix-Houphouët-Boigny n’avaient que trois jours pour concevoir, façonner l’argile et fabriquer des tableaux-moulures de plâtre, accompagnés par les enregistrements. Les étudiants français avaient trois mois et ont pu créer des sculptures plus élaborées.

Peu importe. « Je suis fier d’appartenir à ce projet. Parce que, tous ensemble, on va dire non à ce pillage. En pillant nos propres ressources, nous n’irons jamais de l’avant », lance Coulibaly Sangafolo, qui a choisi comme thème de son œuvre « la bouteille » et les métaphores qui peuvent y être rattachées. « C’est un conditionnement qui vient de l’Europe. Quand ça arrive, il y a déjà des produits dedans. Après l’utilisation, ces objets sont rejetés ! Nous essayons de donner encore une autre vie à cet objet », argumente-t-il.

L’exposition attire de nouveaux amateurs. « C’est la première fois que je me rends dans une salle d’exposition », sourit Indes Adepo. « J’aime bien. Tout est beau ! », dit-elle devant une œuvre de Sarra Ahoussi, un masque hommage à l’ethnie Goa qui émet des bruits particuliers. « J’ai mis des sons d’éléphants et de pas de danse pour signifier que, quand les femmes adorent ce masque, la terre tremble ! », explique l’artiste.