La victoire est nette et sans bavure. Après à peine une journée de protestation, mercredi 19 décembre, les policiers ont obtenu de la part de Christophe Castaner une augmentation substantielle des salaires, la principale de leurs revendications.

Les trois grands syndicats – Unité SGP-Police-FO, Alliance Police nationale et UNSA Police – sont ressortis du bureau ministériel tard dans la nuit avec, en main, un accord signé. Celui-ci prévoit une revalorisation de la rémunération nette de 120 euros (pour un gardien de la paix) à 150 euros (pour les gradés comme les brigadiers-chefs ou les majors). Dans le détail, il s’agira de hausses successives sur un an de l’allocation de maîtrise, ainsi que de l’indemnité de sujétion spéciale police. Les corps supérieurs des officiers et des commissaires ne bénéficieront pas de cette mesure.

Par ailleurs, le ministre de l’intérieur a accepté d’ouvrir une phase de discussion en janvier pour régler le problème latent des millions d’heures supplémentaires effectuées par les policiers et non payées par l’Etat. Un problème de « stock » mais aussi de « flux », tant les missions de sécurisation des manifestations des « gilets jaunes » et l’attentat terroriste de Strasbourg ont mobilisé de manière exceptionnelle les troupes ces dernières semaines, provoquant un alourdissement de la dette.

« Reconnaissance »

Les négociations à venir porteront également sur les conditions de travail et l’état des équipements, souvent vétustes. Dans un communiqué publié jeudi 20 décembre, Christophe Castaner et son secrétaire d’Etat, Laurent Nuñez, estiment que cet accord « constitue aussi et surtout la base d’un projet de transformation en profondeur de la police nationale, qui portera sur l’organisation du temps de travail, les heures supplémentaires et la fidélisation fonctionnelle ou territoriale des policiers ».

En contrepartie de l’augmentation des salaires, les gardiens de la paix et gradés ne toucheront pas la prime exceptionnelle de fin d’année de 300 euros promise par Emmanuel Macron. Seuls les agents administratifs, les employés de préfecture et les personnels techniques et scientifiques mobilisés sur la crise des « gilets jaunes » y auront droit. L’ensemble de ces mesures n’a pas été officiellement chiffré par le gouvernement mais cela vient s’ajouter aux 10 milliards d’euros déjà lâchés depuis le début de la crise des « gilets jaunes ».

« On est très satisfaits, enfin le travail des gradés et gardiens a été pris en considération, avec cette revalorisation salariale et cette hausse du pouvoir d’achat des policiers », s’est félicité Yves Lefebvre, patron du syndicat Unité SGP-Police-FO, à la sortie des négociations. « C’est la reconnaissance de l’Etat, c’est la reconnaissance matérielle que nous avions exigée », a exulté de son côté Jean-Claude Delage, secrétaire national d’Alliance Police nationale.

La négociation s’est jouée en deux temps. A l’issue du premier tour de concertation, mardi soir, certaines avancées avaient été entérinées, mais l’écart entre les positions des uns et des autres demeurait considérable et invitait plutôt au pessimisme. C’est donc avec une certaine surprise que les syndicats ont accueilli le revirement ministériel le lendemain. Aux dires des participants, la discussion a été âpre. « On est passé à un millimètre du crash », confie une source présente. Après une interruption de séance lors de laquelle le ministre de l’intérieur est allé à l’arbitrage du côté de l’exécutif, un protocole d’accord donnant satisfaction aux syndicats a été finalement signé sur le fil.

Risques de revendications sectorielles

La journée de mobilisation des policiers sur le terrain, mercredi, qui n’avait d’ailleurs pas donné de résultats spectaculaires, n’explique pas à elle seule ces concessions. Quelques antennes de police avaient tourné au ralenti ça et là. Un zèle du contrôle dans les aéroports avait notamment engorgé les files d’attente à Orly et à Roissy. Mais c’est davantage la perspective d’une mobilisation « illimitée », promise par les syndicats, qui a fait pencher la balance. Alors que la crise des « gilets jaunes » est encore loin d’être réglée, le ministre de l’intérieur ne pouvait se permettre d’avoir des forces de l’ordre récalcitrantes.

La légitimité des syndicats, qui sont sortis renforcés des élections professionnelles avec une participation massive (quelque 85 % dans la police), a également joué un rôle, alors que les corps intermédiaires avaient plutôt été mis à distance place Beauvau, depuis l’arrivée de M. Castaner.

Au risque de voir maintenant les revendications sectorielles se multiplier. Car en éteignant aussi rapidement l’incendie dans la police nationale, le gouvernement ouvre la porte à des contestations dans d’autres secteurs tendus de la fonction publique, qui n’ont pas connu de revalorisation de longue date.

Dans l’immédiat, Christophe Castaner et Laurent Nuñez devraient faire baisser la pression au sein des rangs policiers. L’engagement des syndicats à participer aux discussions sur la réorganisation de la police ouvre un espace de concertation sociale. Seul le Mouvement des policiers en colère (MPC), créé en 2016 après l’attaque au cocktail Molotov d’une voiture de patrouille à Viry-Châtillon (Essonne), appelle à poursuivre la mobilisation. Ce collectif très actif sur Facebook, mais dont la représentativité est difficile à cerner, dénonce la signature du protocole et devait organiser un rassemblement jeudi 20 décembre devant un commissariat du 8e arrondissement à Paris, au mot d’ordre des « gyros bleus ».

Précédents dans la fonction publique

Dans l’histoire récente de la fonction publique, les revalorisations salariales ont rarement atteint l’ampleur de celles accordées, dans la nuit du mercredi 19 au jeudi 20 décembre, par le ministère de l’intérieur. Fin 2001, sous le gouvernement Jospin, des accords avaient été conclus en faveur des gendarmes et des policiers qui prévoyaient des hausses significatives (hausse de 1 000 francs par mois pour les premiers et de 600 à 716 francs pour les gardiens de la paix). De gros coups de pouce ont également été donnés à l’occasion du rapprochement de la direction générale des impôts (DGI) et de la direction générale de la comptabilité publique (DGCP), sous le quinquennat Sarkozy : une « prime de fusion » de 350 euros par an a été versée aux agents en 2012, puis elle a été pérennisée et portée à 500 euros, selon un rapport sénatorial. Les personnels de l’aviation civile (contrôleurs aériens notamment) ont obtenu, à intervalles réguliers, des majorations substantielles : elles se sont traduites, de 1994 à 2000, par une hausse de 43 % des dépenses de rémunération, selon la Cour des comptes.