Berhanu Mengistu sur le balcon de sa demeure familiale, classée bâtiment historique, à Addis-Abeba, en novembre 2018. Le quartier environnant a été rasé pour laisser place à des constructions modernes. / EDUARDO SOTERAS / AFP

Avec ses murs de plâtre rouge et ses balcons en bois, la maison familiale de Berhanu Mengistu trône depuis plus d’un siècle sur un flanc de colline dominant Addis-Abeba, impassible témoin des ascensions et des chutes de maints empereurs et gouvernements.

Cette demeure palatiale a tant bien que mal survécu au passage du temps alors que le quartier patricien auquel elle appartenait a fait place à un amas d’abris de fortune. Désormais bien seule au milieu d’un terrain envahi par les hautes herbes, elle détonne face aux gratte-ciel scintillants, signes de la transformation fulgurante de la capitale éthiopienne, en quête de modernité architecturale.

A travers la ville, il ne reste que quelques maisons de ce type, construites pour les courtisans et les nababs étrangers de l’époque impériale. Négligées, elles sont souvent dans un état de décrépitude avancé. De nombreux quartiers pauvres, notamment autour de la maison de M. Berhanu, ont été rasés pour laisser place à des tours de béton et de verre, symboles du rapide développement économique du deuxième pays le plus peuplé du continent (après le Nigeria).

Mais ce développement se fait au détriment de l’héritage architectural local, regrettent certains. « Des efforts isolés sont réalisés pour protéger et sauver ces bâtiments historiques, mais cela reste très limité », soupire Fasil Giorghis, un architecte renommé d’Addis-Abeba.

Propriétaires pauvres

La capitale a été fondée au XIXe siècle par le souverain Menelik II, à une époque où l’empire s’est agrandi au-delà des hautes terres situées dans le nord de l’Ethiopie actuelle. Très vite, elle a été peuplée de notables proches de Menelik, dont l’ancêtre de M. Berhanu, Yemtu Beznash, matriarche administrant un influent tribunal. Des ingénieurs arméniens ont été appelés pour construire la ville, tandis que des marchands indiens ou yéménites s’y installaient.

Mais ce cosmopolitisme a pris fin en 1974. Avec l’arrivée au pouvoir de la junte militaire communiste du Derg, les magnats étrangers ont quitté Addis-Abeba. Les nouvelles autorités ont alors donné leurs maisons à des propriétaires pauvres, qui n’avaient pas les moyens d’entretenir leurs planchers en bois et leurs murs de boue séchée recouverts de plâtre.

Depuis le renversement du Derg, en 1991, le pays a connu, sous le régime du Front démocratique révolutionnaire des peuples éthiopiens (EPRDF), une expansion économique, et vu la construction de gratte-ciel, rarement finis, par des entreprises chinoises notamment.

Selon Maheder Gebremedhin, architecte et présentateur d’une émission de radio, la négligence envers les vieux bâtiments est due au coût et à la complexité de leur entretien, mais aussi à la relation ambivalente que le pays entretient avec son passé impérial. « En raison du glissement idéologique [entre l’empire et le régime actuel], personne n’est vraiment intéressé par le fait de garder ces bâtiments », dit-il.

Galeries en bois

Une poignée d’édifices historiques ont été restaurés grâce aux efforts du gouvernement et de donateurs privés, dont l’un des palais de Menelik et la demeure d’un ancien ministre de la défense, reconvertie en musée. Mais les autorités locales reconnaissent que la plupart des 440 sites classés de la capitale croulent sous le poids des ans. « Nos capacités de pays en développement ne nous permettent pas de tout réparer tout le temps », plaide Worku Mengesha, un porte-parole de l’office du tourisme d’Addis-Abeba.

Il y a dix ans, des ambassades étrangères et des Ethiopiens soucieux de la conservation du patrimoine ont tenté de restaurer la maison Mohammedali, ancienne propriété d’un riche marchand indien, mais leurs efforts ont été réduits à néant par la bureaucratie et la piètre qualité des restaurateurs. La demeure est aujourd’hui à l’abandon, et des voitures se garent sous ses arches d’inspiration indienne.

La maison Mohammedali à Addis-Abeba, ancienne propriété d’un commerçant indien, est à l’abandon. / EDUARDO SOTERAS / AFP

L’ancien palais de Hojele Al-Hassen, un riche chef traditionnel de l’époque de Menelik, abrite, lui, des personnes originaires de sa région de l’ouest du pays, qui passent la journée à discuter sous les galeries en bois encerclant le bâtiment. Mais celui-ci est décrépit et une aile entière, qui servait d’école, est désormais inaccessible pour des raisons de sécurité.

Il y a trois ans, quand les autorités ont entrepris de raser les bicoques de fortune du quartier où est située la maison de M. Berhanu, ce dernier est parvenu à la sauver en la faisant officiellement classer bâtiment historique. Montrant un large portrait de son ancêtre Yemtu, il évoque son rêve de transformer en musée cette demeure remplie de souvenirs du passé, des photos de famille jusqu’à la large peau de serpent décorant un mur. « Ce n’est pas seulement notre propriété, elle appartient à tous les Ethiopiens et au peuple d’Addis-Abeba. »