Toyin Lolu-Ogunmade, créatrice de l’agence Precious Conceptions, qui aide les couples luttant contre l’infertilité, avec une photo de sa famille, en décembre 2018, à Lagos. / FLORIAN PLAUCHEUR / AFP

Ada est devenue mère porteuse parce que son propriétaire menaçait de l’expulser avec sa famille de leur appartement de Lagos, une ville tentaculaire de 20 millions d’habitants dans le sud du Nigeria. Sans ressources, la jeune femme a eu l’idée, pour gagner de l’argent, de porter un enfant pour d’autres. Quand elle en a parlé à son mari, il a d’abord refusé. « Il a crié : Comment peut-on faire une chose pareille ? N’y pense même pas ! », se souvient-elle.

Elle avait entendu parler de la gestation pour autrui (GPA) dans une émission de télé-réalité américaine. Mais avant qu’une femme de son entourage ne lui avoue y avoir eu recours pour concevoir ses enfants, Ada ignorait que cela se faisait au Nigeria.

La pratique est mal vue, autant chez les chrétiens évangélistes du sud du pays que par les imams du nord. Elle est cependant utilisée dans des clans polygames igbo ou yoruba : selon la tradition, dans certains villages igbo, une femme veuve ou séparée peut « épouser » une autre femme qui lui offrira un enfant. Les enfants nés du mariage prennent alors le nom du « mari féminin » et l’identité du donneur masculin n’est pas divulguée.

Mais les traditions s’effacent au fil des ans, peu à peu remplacées par le secret et par un système opaque très lucratif. Car au Nigeria aucune loi n’encadre la GPA, qui n’est donc ni autorisée ni interdite.

814 décès pour 100 000 naissances

Pour avoir porté et donné naissance à des jumeaux, Ada a reçu 2 millions de nairas (environ 4 800 euros). Les parents « demandeurs » lui ont également payé un logement décent pour elle, son mari et leurs enfants pendant la grossesse. « C’est ce qui était le plus important pour moi », explique-t-elle à l’Agence France-Presse (AFP). « La pression pour quitter notre appartement était de plus en plus forte, et quand j’ai montré le montant de notre dette à mon mari il a peu à peu accepté mon idée, même si ça lui faisait peur. »

Et pour cause : le Nigeria est le quatrième pays au monde où il est le plus dangereux de donner la vie. Selon la Banque mondiale, on y enregistre 814 décès en couches pour 100 000 naissances, soit 100 fois plus qu’au sein de l’Union européenne.

Après l’accouchement, pour n’éveiller aucun soupçon, Ada a raconté à son entourage avoir perdu l’enfant et préservé ainsi son secret.

Le tabou entourant la GPA est encore plus important pour celles qui y ont recours faute de parvenir à avoir un enfant que pour les mères porteuses. L’infertilité, le plus souvent imputée aux femmes, est souvent perçue comme une punition divine. « Lorsque, le dimanche à l’Eglise, vous voyez des couples remercier Dieu de leur avoir envoyé miraculeusement un enfant après quinze ou vingt ans de tentatives, il y a de grandes chances pour que ce soit grâce à une fécondation in vitro [FIV] ou une GPA », explique Chike*, un ancien agent de mères porteuses. Mais rares sont ceux qui l’avoueront.

Ces deux techniques « sont extrêmement coûteuses », trop pour l’immense majorité de la population, « donc le marché reste restreint », poursuit Chike. « Et il y a beaucoup de stéréotypes sur la GPA au Nigeria à cause des usines à bébés. » Dans ces maternités illégales, des jeunes filles accouchent, sous le voile de l’anonymat, d’enfants non désirés, nés d’un viol ou encore conçus dans le but de vendre le nouveau-né. Face à la lourde pression sociale et religieuse qui pousse à enfanter, ceux qui n’ont pas les moyens de recourir à une mère porteuse se tournent parfois vers de tels centres. Les autorités en ferment régulièrement à Lagos ou dans le sud-est du Nigeria.

« Qu’est-ce qui arriverait si un jour elle revenait ? »

Toyin Lolu-Ogunmade connaît la peine de ne pas parvenir à avoir d’enfants. « Je me disais […] que je n’étais pas une vraie femme ; l’essence même de ma féminité m’avait été enlevée », se souvient-elle. Elle a lutté pendant douze ans contre des fibromes, subissant quatre opérations, avant d’accepter de faire appel à une mère porteuse. Mais son gynécologue l’a informée qu’elle devrait la trouver elle-même. « Je ne savais pas par où commencer. »

Après de longues discussions avec leur pasteur, Toyin et son mari sont partis en Inde, où l’on pratique légalement des GPA à moindre coût. Ils en sont revenus en 2012 avec des jumeaux et le projet de fonder une agence pour aider les femmes n’arrivant pas à enfanter.

Bola Adedeji* est l’une d’elles. Pour que personne ne sache qu’elle ne portait pas elle-même son bébé, elle a cessé d’apparaître en public dès le début de la grossesse de « [sa] mère porteuse ». Elle explique n’avoir pas voulu savoir qui était cette dernière. « Qu’est-ce qui arriverait si un jour elle revenait et disait que c’était son enfant ? Je ne voulais pas de ça. »

L’absence de législation sur la GPA au Nigeria rend les parents d’intention comme les mères porteuses très vulnérables : examens médicaux inadéquats, manque de soutien psychologique, abus de la pratique… Le cadre est si flou que Chike, agent depuis plus de cinq ans, a finalement décidé, fin novembre, de tout arrêter. Demander de l’argent pour son activité de mise en relation l’exposait en effet à des poursuites pour traite d’êtres humains. « Je veux offrir mes services de manière légale, assure-t-il aujourd’hui. Le Nigeria a besoin d’une loi pour encadrer cette pratique. »

*Les prénoms ont été modifiés.