Bordeaux en janvier 2018. / NICOLAS TUCAT / AFP

Tribune. Située à 70 kilomètres de Bordeaux, Sainte-Foy-la-Grande est un territoire de relégation où les emplois disparaissent, les jeunes diplômés partent. La petite commune est considérée comme la plus pauvre de Gironde et de la région Nouvelle-Aquitaine.

Avec sa jolie bastide du XIIIe siècle en bordure de Dordogne, ses maisons à colombages, ses paysages viti-vinicoles, son marché, Sainte-Foy-la Grande apparaît aux citadins des métropoles comme un cadre bucolique, propice à la qualité de vie et au tourisme. Or, ses habitants sont privés de bus, le Transgironde n’allant pas jusqu’à cette frange est de la Gironde dont la ligne TER doit être remise en état.

La dégradation des commerces et de l’habitat du centre-ville va de pair avec un marché immobilier au plus bas (moins de 1 000 euros le m² pour un appartement à 1 200 euros le m² pour une maison) et un taux de vacance des logements relativement élevé (27,7 %). Cette dégradation, vécue et perçue, semble avoir conduit la ville à subir la mise en place d’un « parc social de fait » avec une concentration de la pauvreté dans certains secteurs.

Cette paupérisation en milieu rural ne fait guère parler d’elle, à l’opposé de celle des banlieues. La situation de petites villes de campagne ne peut s’expliquer uniquement par le vieillissement de la population ou les crises agricoles récentes.

Une économie de subsistance et de « la débrouille

Les figures de la pauvreté qu’on voit passer dans les locaux de l’association Cœur de Bastide sont nombreuses. Il y a ceux que l’on s’attend à trouver : les salariés précaires de la viticulture, les jeunes peu qualifiés issus du monde rural, les veuves âgées ; et aussi les jeunes femmes, vivant en famille, peu diplômées, salariées en CDD ou au chômage qui ne correspondent pas vraiment aux représentations emblématiques du monde rural.

Et puis, il y a les nouveaux arrivants : ces familles modestes poussées à se loger loin de Bordeaux ; celles pauvres qui espèrent survivre à la campagne avec (ou sans) le RSA et les migrants. Mais le prix des logements ne peut être la seule explication. Le choix d’un lieu d’installation procède en effet de bien d’autres paramètres, tels que la possibilité de travailler, les opportunités de mobilités, les services, les relations sociales que l’on peut espérer y avoir… La pauvreté frappe aussi lourdement les immigrés. Cela s’explique par des niveaux de qualifications faibles, par l’impact du chômage et les discriminations.

Prendre le statut d’autoentrepreneur est une autre manière de subsister dans la précarité. Femmes de ménage, coiffeurs à domicile, laveurs de voitures, jardiniers… Lorsqu’on regarde la liste des activités enregistrées et que l’on sait qu’en moyenne le revenu que tirent les autoentrepreneurs de leur activité est pour 90 % d’entre eux inférieurs au smic, on comprend que ce statut participe d’une économie de subsistance et de « la débrouille ».

Pénurie de logements sociaux accessibles

La pauvreté en milieu rural se caractérise par l’insuffisance de ressources et des restrictions de consommation plus que par des retards de paiement et des difficultés à loger. A cela s’ajoute un déficit en matière d’éducation, de formation professionnelle, d’accès à la santé et à la culture. Pauvreté scolaire et pauvreté financière sont souvent liées. Et qui dit absence de titre scolaire dit (souvent) difficulté d’insertion sur le marché du travail, précarité et bas niveaux de vie.

Pour les jeunes qui ont grandi dans un milieu « culturellement pauvre », peu socialisé, les démarches de formation posent des problèmes de tous ordres. En outre, un grand nombre d’entre eux disposent d’un espace de « mobilité imaginable » parfois incroyablement restreint. Le taux de chômage de ceux qui n’ont pas migré vers la ville est de même ordre que celui des jeunes urbains. Les jeunes sont aussi confrontés à une forte pénurie de logements sociaux accessibles.

Pour tout un chacun, la « distance en temps de transport » pour accéder aux commerces, aux administrations, aux services publics et privés, pourrait sembler « raisonnable ». Mais c’est sans compter les difficultés rencontrées par les personnes ne disposant pas d’un véhicule personnel. Pas de permis, pas de véhicule, carburant trop cher ont, pour conséquence, un approvisionnement alimentaire plus cher, une grande complication dans de multiples démarches. A la campagne, les moyens de transport et de communication, et leurs coûts, sont un enjeu essentiel en matière d’inégalités sociales.

La richesse de Bordeaux métropole ne ruisselle pas à plus de 20 kilomètres, elle s’arrête à Libourne ! Les métropoles ont une responsabilité particulière, aux côtés de l’Etat, du département et de la région, pour entraîner dans leur développement les territoires de France. Il ne s’agit pas de les mettre sous perfusion, mais de penser une stratégie de développement complémentaire et de trouver des secteurs qui ont de vraies raisons de s’y installer. Les territoires périphériques ont également besoin d’ingénierie pour monter les dossiers et capter les ressources. Il faut se mettre dans l’idée que l’exode rural est terminé, même s’il reste un paradoxe : les territoires ruraux se vident par la démographie, mais ils se remplissent par les flux migratoires, avec des besoins parfois contradictoires.

« Ghetto rural »

La loi de 2014 a fait rentrer dans la politique de la ville, grâce au critère unique du revenu par habitant, des quartiers situés en zones rurales. Or, on est surpris de l’absence de projet de développement économique dans le contrat de ville et sur le territoire du Pays foyen ainsi que des agences en charge du développement des quartiers QPV [quartier prioritaire de la ville]. A ce jour, et faute d’alternative, Sainte-Foy-la-Grande est un territoire pris dans un processus d’appauvrissement, et soutenu par la politique de la ville telle une cité d’habitat social. D’où cette image très dure de « ghetto rural » relayée par les médias. La difficulté première semble être de se défaire d’une vision du développement qui repose sur la seule économie commerciale, cherchant le salut par un renouveau de la consommation et de la population.

Une autre option serait de comprendre le territoire comme un lieu de vie présentant des spécificités culturelles, sociales et identitaires à développer, avec notamment des services tournés vers les populations résidentes. La ville ayant longtemps prospéré sur son commerce, elle peine aujourd’hui à se convertir à un autre modèle de développement. Cette difficulté ne concerne pas seulement la question des politiques sociales mais également celle du tourisme, dont le nouvel office a été implanté dans une zone commerciale en bordure de rocade.

Provoquer un développement endogène est un impératif du monde rural. Cela nécessite une organisation et des politiques publiques locales, capables de déclencher des dynamiques et un développement rural. Cela suppose une capacité humaine et donc la présence d’ingénierie sur le territoire, qui ne peut être mise en place que si les structures politiques s’appuient sur les acteurs de la société civile, comme les entreprises privées fortement implantées dans le territoire et les associations actives en faveur de la cohésion sociale.

Depuis plusieurs décennies, les acteurs de terrain – pas toujours entendus – appellent à mettre en place des actions globalisées de différentes natures, alliant intervention sur l’habitat, sur la vie sociale, sur le tissu économique et sur les services publics. Ce même principe, adapté, pourrait inspirer l’action contre la pauvreté dans le milieu rural, moins dégradé sans doute que celui des quartiers urbains les plus difficiles, mais peut-être placé aujourd’hui sous la menace d’une évolution en grande partie de même nature.

Marc Sahraoui est administrateur de l’association Cœur de Bastide