Papier à cigarettes « Job » (1896), d’Alphonse Mucha, exposé au Musée du Luxembourg à Paris jusqu’au 27 janvier 2019. / MUCHA TRUST / ADAGP PARIS, 2018

LES CHOIX DE LA MATINALE

A l’occasion de cette dernière sélection de sorties pour le week-end de l’année 2018, « La Matinale » a choisi dix expositions, principalement à Paris, mais aussi à Antibes et à Roubaix, qui fermeront leurs portes d’ici quelques jours ou semaines.

Les travailleurs migrants dans l’œil de Dorothea Lange, au Jeu de paume

« Migrant Mother, Nipomo, California » (1936), de Dorothea Lange. / OAKLAND MUSEUM OF CALIFORNIA

La célèbre photo de la « mère migrante » qui serre contre elle ses enfants sales attire comme un aimant. Mais le reste de l’œuvre de Dorothea Lange vaut bien une visite au Jeu de paume, à Paris : on y découvre non seulement les préoccupations sociales de la photographe, qui travailla pour le gouvernement américain pendant la Grande Dépression des années 1930, mais aussi son œil, son sens de la composition et son approche empathique, qu’elle a utilisés pour suivre les travailleurs migrants, mais aussi les femmes ouvrières ou les Américains d’origine japonaise, enfermés dans des camps par le gouvernement pendant la seconde guerre mondiale sans avoir commis aucun crime. L’exposition étant très fréquentée, il vaut mieux la visiter le matin, ou entre 13 et 14 heures ou 17 et 19 heures. Claire Guillot

« Dorothea Lange, politiques du visible ». Jeu de paume, place de la Concorde, Paris 8e. Jusqu’au 27 janvier 2019.

Les vacances de Picasso, à Antibes

« Paysage de Juan-les-Pins » (été 1920), de Pablo Picasso, huile sur toile. / RMN-GRAND PALAIS (MUSÉE NATIONAL PICASSO-PARIS) / MATHIEU RABEAU / SUCCESSION PICASSO, 2018

Antibes ? Picasso y fut chez lui. Au bord du golfe et un peu partout sur le cap, à partir de 1920, et dans la ville même : entre septembre et novembre 1946, Romuald Dor de La Souchère, conservateur des lieux, lui donna les clés du château ­Grimaldi. Le lieu est devenu Musée Picasso, et consacre au peintre une exposition intitulée « Les Vacances de M. Pablo », où il se repaît des paysages méditerranéens, gorgés de lumière et de couleurs, mais aussi de baigneuses dénudées sur la plage de la Garoupe.

Un Picasso intime, mais aussi un Picasso plus expérimentateur que jamais, et comme libéré, s’il en était besoin, par une atmosphère qui lui rappelle celle de son Espagne natale : les faunes cornus et rigolards, les satyres, les nymphes reviennent dans les tableaux, évocation d’un paradis retrouvé. Harry Bellet

« Les Vacances de M. Pablo. Picasso à Antibes Juan-les-Pins, 1920-1946 ». Musée Picasso, château Grimaldi, Antibes (Alpes-Maritimes). Jusqu’au 13 janvier 2019.

Les rêveries de Miro, au Grand Palais

« Intérieur hollandais (III) » (1928), de Joan Miro, huile sur toile. / SUCCESSION MIRO / ADAGP PARIS /THE METROPOLITAN MUSEUM OF ART / ART RESOURCE

« Je sais que je suis des chemins extrêmement dangereux et je vous avoue que parfois, je suis pris d’une panique propre au voyageur qui se retrouve sur des chemins inexplorés », confiait Miro (1893-1983) à un ami, en 1923. Plutôt que la panique, c’est l’enchantement qui l’emporte dans le voyage proposé par le Grand Palais, truffé de péripéties formelles.

Des premières toiles du Barcelonais, datées de 1916, qui mêlent les fulgurances des couleurs fauves et la rigueur analytique du cubisme, à son chef d’œuvre achevé en 1961, les trois Bleu, rarement présentés ensemble, où se lit la fascination de l’artiste pour l’abstraction américaine, en passant par les céramiques en « terre de grand feu » et les créatures en bronze peint, la rétrospective traverse sept décennies de création, un mouvement perpétuel vers toujours plus de liberté. Emmanuelle Lequeux

Rétrospective Joan Miro. Grand Palais, 3, avenue du Général-Eisenhower, Paris 8e. Jusqu’au 4 février 2019.

Picasso en bleu et rose, au Musée d’Orsay

« La Chambre bleue » (1901), de Picasso, huile sur toile. / THE PHILLIPS COLLECTION, WASHINGTON / SUCCESSION PICASSO 2018

Par « période bleue » et « période rose », l’histoire de l’art désigne deux phases dans l’œuvre de Picasso, de son arrivée à Paris, en octobre 1900, à son séjour en Catalogne, à l’été 1906, et aux premiers travaux préparatoires des Demoiselles d’Avignon. Ces périodes ont longtemps eu la préférence d’amateurs qui étaient rebutés par la complexité du cubisme et admettaient encore moins la suite de l’œuvre. Les toiles des débuts avaient à leurs yeux le mérite d’être immédiatement compréhensibles et soutenues par un dessin qu’ils disaient « classique ».

L’exposition présentée au Musée d’Orsay est abondante : plus de 300 peintures, dessins, gravures et sculptures et des œuvres des proches de Picasso à titre comparatif. En dehors de L’Acteur (1904-1905), conservé par le Metropolitan de New York, et de Famille de saltimbanques (1905), à la National Gallery of Art de Washington, il ne manque aucune pièce majeure. Leur est adjointe une documentation dense, qui a, entre autres intérêts, celui de rappeler combien la proximité des poètes a été importante pour le jeune artiste. Philippe Dagen

« Picasso. Bleu et rose ». Musée d’Orsay, 1, rue de la Légion d’Honneur, Paris 7e. Jusqu’au 6 janvier 2019.

Les splendeurs de l’ère Meiji, au Musée Guimet

« Promenade à bord d’une barque », illustration du chapitre Ukifune du « Dit du Genji », émaux cloisonnés, Japon, vers 1901. / THE KHALILI COLLECTIONS OF JAPANESE ARTS

Le règne de l’empereur Mutsuhito (1852-1912), qui dura de 1867 à 1912, se traduisit par une transformation tellement radicale du Japon qu’on lui a donné le nom d’ère « Meiji » (« politique de la lumière »). Une époque d’ouverture du pays sans précédent, après deux cent cinquante ans de repli sur soi, qui s’accompagne de bouleversements dans tous les domaines – politique, économique, sociétal, religieux, culturel, artistique. Le pays entend désormais faire rayonner ses talents à travers le monde, et les artistes ont pour mission d’exalter sa puissance créatrice. 

A l’occasion des 150 ans du début de cette période, le Musée national des arts asiatiques-Guimet, à Paris, a réuni plus de trois cents pièces – porcelaines, céramiques, étoffes, laques, peintures, sculptures, meubles – témoignant de cette virtuosité. Ces documents et objets illustrent les mutations opérées dans l’art, mais aussi dans la société japonaise tout entière. Sylvie Kerviel

« Meiji, splendeurs du Japon impérial ». Musée national des arts asiatiques-Guimet, 6, place d’Iéna, Paris 16e. Jusqu’au 14 janvier 2019.

Le trait décoratif de Mucha, au Musée du Luxembourg

Papier à cigarettes « Job » (1896), d’Alphonse Mucha, exposé au Musée du Luxembourg à Paris jusqu’au 27 janvier 2019. / MUCHA TRUST / ADAGP PARIS, 2018

Alphonse Mucha (1860-1939) est l’un des imagiers les plus célèbres de son temps. Plusieurs de ses affiches sont devenues des icônes. Son exposition au Musée du Luxembourg, à Paris, dispose une centaine de pièces dans une scénographie à arcades genre basilique : ses affiches des plus connues aux moins illustres, ses peintures à ambition mystico-humaniste et son cycle « L’Epopée slave » qui l’a occupé plus de vingt ans, jusqu’à son achèvement en 1928.

Cet ensemble monumental de scènes historiques et religieuses difficilement déplaçable est présenté sous forme de film. S’ajoutent des photographies de lui-même, de ses amis et de ses modèles dans l’atelier. Ph. D.

Exposition Alphonse Mucha. Musée du Luxembourg, 19, rue de Vaugirard, Paris 6e. Jusqu’au 27 janvier 2019.

Basquiat et Schiele, deux fulgurances réunies, à la Fondation Louis Vuitton

« Autoportrait au gilet, debout » (1911), d’Egon Schiele, gouache, aquarelle et crayon gras sur papier, monté sur carton. / COLLECTION ERNEST PLOIL / VIENNE

Pourquoi présenter en un même lieu Egon Schiele (1890-1918) et Jean-Michel Basquiat (1960-1988), que séparent plus d’un demi-siècle et l’Atlantique ? Parce qu’ils sont morts jeunes tous deux ? Faible prétexte. L’un a succombé à la grippe espagnole, l’autre à une overdose. Une raison bien plus convaincante est que tous deux font voir crûment à leurs contemporains ce que ceux-ci préfèrent faire semblant d’ignorer.

Schiele doit exprimer combien il se sent prisonnier de la société de l’empire austro-hongrois au début du XXe siècle, de ses interdits, de ses hypocrisies ; Basquiat doit exprimer quel malaise il ressent dans la société nord-américaine des années 1980, au temps de Ronald Reagan, ce président qui commence par ne pas prendre au sérieux le sida et ne fait rien pour combattre le racisme si l’on peut dire « ordinaire » des Etats-Unis. Tous deux ont brisé les règles plastiques et le silence. Ainsi considérés, les deux artistes se ressemblent. Ph. D.

Expositions Jean-Michel Basquiat et Egon Schiele. Fondation Louis Vuitton, 8, avenue du Mahatma-Ghandi, Paris 16e. Jusqu’au 14 janvier 2019 (Schiele), jusqu’au 21 janvier 2019 (Basquiat).

Le Caravage avant-gardiste, au Musée Jacquemart-André

« Judith décapitant Holopherne » (vers 1600), de Michelangelo Merisi, dit Caravage. / MAURO COEN / GALLERIE NAZIONALI DI ARTE ANTICA DI ROMA / PALAZZO BARBERINI

L’exposition présentée au Musée Jacquemart-André est brève, une trentaine de tableaux. Mais dix du Caravage. Le sujet est précis : sa période romaine, comment il invente une nouvelle peinture et comment celle-ci se répand aussitôt.

Pour que ce qui est représenté le soit dans toute sa réalité matérielle et son intensité psychique, il imagine une façon différente de peindre. Il supprime apparitions célestes, anges à petites ailes blanches et allégories dénudées. Il se passe de l’architecture antique, des rideaux plissés, des perspectives profondes et de tout ce qui fait tomber dans le spectacle. Par le clair-obscur, il liquide le superflu encombrant la peinture maniériste tardive qui domine alors en Italie. Le Caravage est une avant-garde à lui tout seul. Ph. D.

« Caravage à Rome. Amis et ennemis ». Musée Jacquemart-André, 158, boulevard Haussmann, Paris 8e. Jusqu’au 28 janvier 2019.

Hervé Di Rosa, à la Piscine de Roubaix

« Camping Beau Soleil » (non daté), d’Hervé Di Rosa, acrylique sur toile.

Bâtie dans le style Art déco par l’architecte lillois Albert Baert, elle était, lors de son inauguration, en 1932, considérée comme la « plus belle piscine de France ». On se demande si elle n’est pas en train de devenir, ­sinon l’un des plus beaux musées du monde, en tout cas l’un des plus attachants. La Piscine, Musée d’art et d’industrie André-Diligent, vient de rouvrir après des travaux d’agrandissement, et l’ensemble est si réussi qu’il est à lui seul une raison de venir à Roubaix. 

Pour cette réouverture, le musée propose trois expositions temporaires. La plus grande et la plus sympathique est celle consacrée aux tableaux de voyage d’Hervé Di Rosa, artiste nomade qui parcourut le monde afin de confronter son art à celui des artistes et artisans. De Sofia à Lisbonne en passant par La Havane et Séville, il s’imprègne de son environnement pour nourrir ses œuvres, sculptures, peintures, travaux sur papier, tissu ou os. Ha. B.

« Di Rosa. L’Œuvre au monde ». La Piscine, Musée d’art et d’industrie André-Diligent, 23, rue de l’Espérance, Roubaix (Nord). Jusqu’au 20 janvier 2019.