Des élus de Forza Italia, à la Chambre des députés, à Rome, le 29 décembre 2018. / Fabio Frustaci / AP

La scène, postée sur les réseaux sociaux, est surréaliste. Ce samedi soir 29 décembre, le président « 5 étoiles » de la Chambre des députés italienne enregistre un message face caméra. Il est venu défendre le débat parlementaire, alors que le pays sombrait dans la cacophonie.

Quelques heures plus tôt, le « budget du peuple » venait d’être approuvé par un vote de confiance des députés dans une ambiance digne des jeux du cirque. Certains députés en sont venus aux mains. Les élus de Forza Italia, la formation de Silvio Berlusconi, ont endossé des chasubles bleues frappées des slogans « Stop aux impôts » ou « pas touche aux associations ». Pendant plus de sept minutes, Roberto Fico, le président de la Chambre des députés, est sur la défensive, niant toute partialité et justifiant la bonne tenue du débat démocratique.

« Absurdité totale »

Que ce soit au Sénat ou à la Chambre, les débats à marche forcée de cette fin d’année 2018 ont ravivé l’inquiétude de l’opposition au gouvernement de coalition formé par Ligue (extrême droite) et le Mouvement 5 étoiles (M5S, antisystème). Le 20 décembre, la sénatrice Emma Bonino (Radicaux italiens) a marqué les esprits : « Que le Parlement soit ainsi humilié, réduit à une farce, est une blessure faite à tous », a déploré la représentante au bord des larmes.

Dans la nuit du 22 décembre, les sénateurs ont dû voter un « maxi-amendement » sans en connaître ou presque les contours. Un passage en force qui a provoqué l’ire de l’opposition, Parti démocrate en tête. La formation centriste a demandé un recours devant le Conseil constitutionnel.

Ces derniers jours ont été une succession d’allers et retours, d’ambitions révisées à la baisse ou de propositions pour le moins baroques. C’est le cas par exemple dans le domaine de la santé où, à la suite de pressions de Giulia Grillo, la ministre de la santé aux convictions antivaccins, le nouveau budget prévoit une dérogation à l’inscription à l’ordre des médecins. Plus besoin de diplôme : il suffira d’avoir travaillé trente-six mois lors des dix dernières années pour pouvoir être enregistré comme un « praticien » reconnu. Cette perspective a provoqué la stupeur de l’ordre des médecins, qui a dénoncé une « absurdité totale ».

Mais le malaise dans la péninsule dépasse désormais les simples mesures budgétaires ou la capacité du pays à financer ses promesses. Au dire d’un nombre croissant d’élus et d’observateurs de la vie politique, le gouvernement semble parfois évoluer dans une réalité parallèle, à commencer par les populistes du M5S.

Conception autoritaire du pouvoir

Après le vote du budget, le secrétaire d’état aux affaires étrangères, Manlio Di Stefano, a ainsi fait part d’un sens de la mesure qui laisse songeur : « Nous avons mis en œuvre le plus grand plan d’investissements de l’histoire de la République », s’est félicité ce cadre du M5S, pour qui ce budget « est le meilleur de toute l’histoire de l’Italie ». La rallonge budgétaire pour les investissements publics a pourtant été rabotée de près des deux tiers par rapport aux 9 milliards promis à l’origine pour les trois prochaines années.

D’autres mesures, comme la suppression d’ici 2022 des aides directes à la presse, interrogent sur une conception de plus en plus autoritaire du pouvoir. Un billet mis en ligne sur le blog du Mouvement 5 Etoiles dimanche dernier a ainsi mis le feu aux poudres. « La démocratie est attaquée, l’une des plus violentes offensives contre la volonté populaire depuis soixante-dix ans est à l’œuvre », pouvait-on lire dans ces lignes au ton apocalyptique, qui dénonçaient également « un vrai terrorisme médiatique et psychologique de la part de lobbys, de pouvoirs forts et de comités d’entreprise ». Face à la bronca, le texte incendiaire a finalement été retiré et le président de la Chambre des députés, Roberto Fico, a dû une fois encore se justifier, cette fois-ci à la tribune.

Polarisation

« On voit ici toute la dimension autoritaire du M5S », analyse Jacopo Iacobini, chroniqueur politique à La Stampa et auteur d’un livre-enquête sur le mouvement populiste, qui déplore que le Parlement soit désormais « peuplé de robots à qui l’on dit de voter oui ou non ». Cet autoritarisme s’exerce aussi à l’intérieur même du parti fondé par le polémiste Bepe Grillo.

En témoigne l’expulsion ce lundi 31 décembre de quatre parlementaires 5 étoiles. Parmi eux, le sénateur Gregorio De Falco, ancien commandant de la marine nationale. Celui-ci s’était abstenu lors du vote de confiance au Sénat, estimant ne pas pouvoir approuver un texte dont il ignorait tout. Peu après son éviction, ce marin très respecté en Italie a dénoncé une « dérive totalitaire » du mouvement, ne cachant pas son amertume devant un « manque de démocratie ».

Quelques heures après avoir promulgué la loi sur le budget, le chef de l’Etat, Sergio Mattarella, a présenté ses vœux de Nouvel An. « La forte réduction de l’examen parlementaire et l’absence d’un débat opportun entre les corps sociaux demandent que l’on soit attentifs au contenu des mesures annoncées », a-t-il expliqué sous les lambris du palais du Quirinal, dans une critique à peine voilée de la méthode gouvernementale. Le président a aussi souhaité notamment que le Parlement redevienne un lieu de débat constructif. Une gageure dans une Italie de plus en plus polarisée.

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