« C’est en 2019 que se déroule Blade Runner, l’adaptation par Ridley Scott de la nouvelle de Philip K. Dick. » / DR

L’année 2019 est une année bénie pour les amateurs de science-fiction. C’est en 2019 que Néo-Tokyo connaît les évènements au cœur d’Akira, le manga culte de Katsuhiro Ōtomo. Mais c’est aussi et surtout en 2019 que se déroule Blade Runner, l’adaptation par Ridley Scott de la nouvelle de Philip K. Dick, Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?.

En ce début d’année 2019, Tokyo ne ressemble heureusement pas à la vision post-apocalyptique d’Ōtomo, et Los Angeles n’est pas encore tout à fait envahie par la pollution montrée par Ridley Scott. Mais les androïdes qui sont au coeur de l’intrigue de Blade Runner sont, eux, déjà bien là – quoique sous une forme très différente de celles des réplicants, ces êtres artificiels impossibles à différencier d’un être humain sans avoir recours à un test complexe.

Les réplicants de 2019 ne hantent pas les bas-fonds des grandes mégalopoles, mais plutôt les profondeurs du Web. Et ils sont partout, comme le résume le New Yorker dans un long article intitulé A quel point l’Internet est-il faux ?. Une part substantielle du trafic des sites Web est le fait de programmes automatisés et non d’humains. Certains sont utiles, et bien connus, comme les crawlers de Google, qui arpentent le Web pour indexer toutes les pages et leurs mises à jour, quasiment en temps réel. D’autres, en revanche, sont conçus pour se faire passer pour des humains. Leur but est simple : faire grossir les statistiques de visites ou de vues, voir cliquer sur des publicités. On peut acheter des milliers de visionnages d’une vidéo YouTube pour quelques euros ; et il existe des réseaux automatisés qui cliquent sur des publicités pour « gonfler » leurs chiffres et rapporter de l’argent aux sites plus ou moins légitimes qui les hébergent.

Le problème est tel qu’en 2013, selon le Times, près de la moitié des clics sur YouTube étaient effectués par des robots - ce qui faisait craindre aux ingénieurs de l’entreprise l’arrivée d’une « Inversion ». Un moment où les clics des machines dépasseraient ceux des humains, et où, comme dans un mauvais film de science-fiction, les outils anti-machine finiraient par considérer le trafic « humain » comme le « mauvais », et se retourneraient contre les utilisateurs légitimes du site.

Fausses vidéos, vraies nuisances

L’« inversion » n’est, officiellement, jamais arrivée ; sans atteindre la complexité du test Voight-Kampf de Blade Runner, les outils anti-robots se sont améliorés. Le plus courant était, historiquement, le captcha, qui demandait à l’utilisateur de déchiffrer un ou deux mots mal écrits pour prouver qu’il était bien un humain. Le test s’est avéré trop simple face à des robots de plus en plus perfectionnés : il a en grande partie été remplacé par un test plus analytique, qui demande à l’utilisateur d’identifier des objets sur des images. Google, et d’autres, travaillent déjà sur une nouvelle génération d’outils qui analysent la manière dont la souris se déplace à l’écran pour deviner si elle est manipulée par un être de chair et d’os.

Mais savoir que c’est bien un humain qui clique n’est pas toujours suffisant. Les propagandistes russes de l’Internet Research Agency, qui ont tenté d’influer sur la présidentielle américaine, sont bien humains, tout comme les salariés des « fermes à clics » qui gonflent les vues sur YouTube de leurs clients ou les notes d’applications contre un salaire de misère.

Et au fur et à mesure que les outils de contrôle s’améliorent, ceux des créateurs de faux progressent également. Depuis deux ans, des outils d’intelligence artificielle simples ont grandement favorisé la création de deepfakes, ces vidéos truquées – et le plus souvent pornographiques – dans laquelle le visage d’une personne est surimposé, de manière relativement convaincante, sur un personnage d’une vidéo. Tenter d’enrayer ces vidéos est « un travail inutile, légalement, principalement parce qu’Internet est un vaste trou noir qui se dévore lui-même », dit dans une interview passablement désabusée au Washington Post l’actrice Scarlett Johansson, victime régulière de ce type de détournement.

Le pire est peut-être à venir : sur Internet, les innovations pornographiques trouvent en général d’autres débouchés, et 2019 pourrait notamment être une année faste pour les vidéos politiques truquées. Ou tout autre chose encore. Parce qu’au bout du compte, l’une des principales différences entre le 2019 de Blade Runner et celui que nous nous apprêtons à vivre, c’est que la fabrication de réplicants n’est pas l’apanage d’une multinationale, comme l’est Tyrell Corporation dans le film. Aujourd’hui, tout un chacun ou presque peut, pour un coût modique, acheter ou construire sa petite usine de robots, démultipliant ainsi les risques. Que cela ne vous empêche pas de vivre une excellente année du réplicant !