Mark A. Wieczorek

L’atterrisseur chinois Chang’e 4, doublé d’un petit rover, est le premier à se poser sur la face cachée de la Lune, jeudi 3 janvier. Ce côté obscur de notre satellite naturel ne nous est pas totalement inconnu, car de nombreux satellites l’ont déjà scruté – mais aucun engin de fabrication humaine ne l’a foulé. Si face cachée il y a, c’est pour les observateurs terrestres. Pourquoi la Lune présente-t-elle donc aux Terriens toujours le même visage ?

Rappelons d’abord que cela n’a pas toujours été le cas. Il fut un temps, très lointain, où la Lune n’avait pas de face invisible pour les créatures terrestres : tournant sur elle-même plus vite qu’aujourd’hui, elle déroulait nuit après nuit, et en fonction de l’éclairage du Soleil, l’ensemble de sa surface aux yeux d’un observateur placé sur notre planète. Mais le jeu d’attraction entre Terre et Lune a progressivement conduit à leur rotation synchrone, une situation très fréquente, presque inéluctable, entre les lunes et les planètes du système solaire – et probablement au-delà.

De quoi s’agit-il ? On parle de rotation synchrone lorsqu’un satellite tourne sur lui-même dans le même temps qu’il tourne autour de l’astre autour duquel il est en orbite. C’est-à-dire lorsque sa période de rotation est identique à sa période de révolution. C’est le cas du système Terre-Lune.

Pour visualiser la chose, l’astrophysicien Hubert Reeves propose d’imaginer une ronde, où vous tenez votre partenaire à deux mains pendant qu’il ou elle tourne autour de vous : vous verrez toujours son visage, alors qu’il ou elle aura fait un tour complet sur lui ou elle-même. C’est le cas par exemple des satellites géostationnaires, situés à 36 000 km de la Terre, qui observent toujours un même point de la Terre, ou du couple Pluton-Charon : pour un « Plutonien », la lune Charon non seulement présenterait la même face, mais semblerait immobile dans le ciel (et réciproquement)…

Pourquoi voyons-nous toujours la même face de la lune ?
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Longue influence réciproque entre la Lune et la Terre

La Terre et la Lune ne sont pas tout à fait dans la même situation, car la Terre tourne sur elle-même en vingt-quatre heures, alors que la période de révolution de la Lune, comme sa période de rotation, est d’un peu plus de vingt-sept jours. Mais l’idée est la même : la Lune danse autour de nous au même rythme qu’elle tournoie sur elle-même.

Cette synchronie est le résultat d’une longue influence réciproque entre la Lune et la Terre, liée à l’attraction universelle entre deux corps décrite par Newton. Cette attraction gravitationnelle ne se contente pas d’influencer la marche des océans terrestres. Ces forces de marée déforment aussi subtilement la géologie des deux astres. L’effet de couple exercé sur ces protubérances aboutit à une synchronisation.

Il peut avoir d’autres conséquences, en fonction des vitesses respectives initiales de révolution des deux astres. La distance du satellite peut ainsi se réduire peu à peu. C’est par exemple le cas de Phobos, dont on estime qu’elle finira par s’écraser sur Mars. A l’inverse, la Lune a, elle, tendance à l’éloigner de la Terre – de l’ordre de 3,84 cm par an.

La rotation synchrone est un donc phénomène omniprésent dans le système solaire. Mais ce mécanisme de verrouillage gravitationnel peut présenter des variantes plus exotiques, lorsque le rapport entre les périodes de rotation et de révolution du satellite est un nombre rationnel. Ainsi, Mercure fait trois tours sur elle-même dans le même temps qu’elle fait deux fois le tour du Soleil : on parle de résonance spin sur orbite de 3:2. Et la résonance spin/orbite Terre-Lune ? Si vous avez suivi, vous aurez compris qu’elle est de 1:1.