Un homme manifeste devant le tribunal de district de Tokyo, lors du premier procès de trois anciens cadres de Tepco, le 30 juin 2017. / TORU YAMANAKA / AFP

Cinq ans de détention, le maximum prévu par la loi. Telle a été la peine requise, mercredi 26 décembre, contre Tsunehisa Katsumata, le président, de 2002 à 2012, de la Compagnie d’électricité de Tokyo (Tepco), et ses deux vice-présidents, Ichiro Takekuro et Sakae Muto, pour leur responsabilité dans la catastrophe nucléaire de Fukushima, provoquée par le séisme et le tsunami de mars 2011. Aujourd’hui retraités qui se voudraient paisibles, les trois hommes sont jugés pour « négligence ayant entraîné la mort ».

Plus précisément, ils sont critiqués pour leur gestion contestée de l’activité nucléaire de Tepco, à l’origine de la catastrophe et de ses conséquences, notamment la mort de quarante-quatre personnes dans l’évacuation chaotique d’un hôpital au moment du drame. Pour le parquet, les trois ex-dirigeants n’ont pas suffisamment pris en compte le risque de tsunami. Les procureurs leur reprochent d’avoir eu en leur possession des données mentionnant le risque de vagues dépassant les 15 mètres de haut, pouvant provoquer une panne de courant. « Ils auraient dû suspendre l’activité de la centrale nucléaire » jusqu’à la mise en place de mesures de prévention, a estimé le parquet.

Pour important qu’il soit pour les victimes et pour l’avenir du nucléaire japonais, ce procès au pénal a failli ne jamais avoir lieu. Le parquet avait dans un premier temps rejeté la plainte déposée, estimant que Tepco comme le gouvernement ne pouvaient prévoir l’ampleur du séisme et du tsunami. Le recours au système des commissions d’étude des décisions du parquet a permis d’inverser la décision en 2015. Jusque-là, la trentaine d’actions intentées en relation avec la pire catastrophe nucléaire depuis Tchernobyl l’a été au civil.

« Depuis l’accident, personne n’a été reconnu responsable, et les causes n’ont pas été données », regrettait, au début des audiences, en juin 2017, Ruiko Muto, présidente de l’association de victimes ayant milité pour le procès. Dans son témoignage, en octobre 2018, M. Katsumata, à l’allure hiératique sous son élégante chevelure blanche, a rejeté toute responsabilité, invoquant l’impossibilité pour un président de tout savoir de ce qui se passe dans son entreprise. « Les contacts avec le personnel étaient réduits. »

MM. Takekuro et Muto ont insisté sur l’imprévisibilité de l’ampleur de la catastrophe et argué d’un manque de fiabilité des études sur les risques de tsunami. Ils ont également nié avoir approuvé un projet de renforcement des protections de la centrale contre les raz-de-marée, jamais concrétisé. Selon certains témoignages, ils l’auraient fait lors d’une réunion de février 2008. A cette occasion, Kazuhiko Yamashita, responsable des mesures antisismiques, les avait alertés sur un risque de tsunami à 7,7 mètres, à la centrale de Fukushima, où les protections ne prévoyaient qu’une vague de 3 mètres.

Par la suite, s’appuyant sur une étude gouvernementale de 2002, le risque d’une vague de 15,7 mètres avait été évoqué au sein de la direction de Tepco. M. Muto, alors directeur adjoint de la division de l’énergie nucléaire, aurait, selon plusieurs témoins, demandé d’enterrer ces rapports.

Procès peu médiatisé au Japon

La défense des trois hommes a également été mise à mal par le témoignage d’un ancien employé de Japan Atomic Power – autre compagnie d’électricité. D’après lui, sa société a pris au sérieux l’étude de 2002 et a construit des digues permettant à sa centrale Tokai 2 du département d’Ibaraki, au sud de Fukushima, de résister à un tsunami de 12,2 mètres. Elle n’a subi que peu de dégâts lors de la catastrophe de 2011.

Le rejet de toute responsabilité des trois ex-dirigeants de Tepco est une constante au sein du « village nucléaire » japonais, vilipendé pour son entre-soi teinté d’arrogance. Avant la catastrophe, Tepco avait été condamnée à plusieurs reprises pour des dissimulations d’incidents, dont certains critiques, survenus notamment à sa centrale Kashiwazaki-Kariwa, arrêtée après un séisme en juillet 2007. D’après un témoignage cité par l’accusation, l’arrêt de cette centrale aurait à l’époque causé des problèmes financiers à Tepco, faisant le choix de ne pas renforcer les protections de Fukushima par souci d’économie budgétaire.

Le procès, dont le verdict est attendu en mars, reste peu médiatisé au Japon, notamment, car le gouvernement du premier ministre, Shinzo Abe, pousse pour la relance du nucléaire. Huit réacteurs ont été redémarrés depuis 2011 et seize vont être démantelés sur les cinquante-quatre que comptait l’Archipel avant Fukushima.

M. Abe veut aussi faire oublier une catastrophe qui a forcé l’évacuation de près de 200 000 personnes, sinistré une région pour des décennies et qui pourrait coûter 22 600 milliards de yens (182 milliards d’euros). Des épreuves des Jeux olympiques de 2020 à Tokyo sont par ailleurs prévues dans le département de Fukushima.