Ryoyu Kobayashi, lors de l’épreuve d’Innsbruck (Autriche), le 4 janvier. / CHRISTOF STACHE / AFP

Que sait-on de la mue qui transforme un banal sportif de haut niveau en champion ? Dur d’établir une recette miracle. Le déclic est souvent très personnel. Dans le cas du sauteur à ski japonais Ryoyu Kobayashi, c’est son entraîneur finlandais, Janne Väätainen, qui tente de percer le mystère : « Lorsque Ryoyu Kobayashi a compris qu’il devait faire plus que seulement piloter sa Porsche, il est devenu bon. »

Sourire juvénile, look cool qui rappelle plutôt la jeunesse branchée des quartiers tokyoïtes de Shibuya ou de Shimokitazawa qu’un spécialiste des tremplins, le jeune homme de 22 ans préférait, jusqu’alors à l’entraînement, les voitures de luxe et ses platines de DJ. « J’ai beaucoup insisté pour qu’il s’entraîne plus, mais jusqu’à présent ça ne lui plaisait pas. Il profite de la vie. Quoi qu’il fasse, il a toujours ce sourire coquin de petit gamin sur le visage », ajoute le coach Väätainen.

Le talentueux et fantasque sportif s’est mis au travail. Si bien que Ryoyu Kobayashi est en lice pour devenir dimanche le troisième homme à réussir le Grand Chelem lors de la prestigieuse Tournée des quatre tremplins. Le soir du réveillon du Nouvel An, il ne faisait pas exception parmi ses camarades de l’équipe du Japon, au lit à 22 heures, au lieu d’arpenter les pistes de danse. Bien lui en a pris puisque le lendemain, le 1er janvier, il remportait sa deuxième victoire dans la Tournée des quatre tremplins à Garmisch-Partenkirchen (Bavière).

Ryoyu Kobayashi à Innsbruck (Autriche), le 4 janvier. / Matthias Schrader / AP

Avant l’entame de cette saison, le Japonais n’avait jamais fait mieux qu’une sixième place lors d’une épreuve de Coupe du monde. En trois saisons sur le circuit, il était un sauteur anonyme, oscillant entre la 20e et la 40e place en moyenne. Lui, qui n’avait jamais gagné, a engrangé sept succès en dix épreuves.

Après ses trois premières victoires à Oberstdorf et Garmisch-Partenkirchen, et vendredi à Innsbruck (Autriche), il ne lui reste plus qu’à s’imposer à Bischofshofen, toujours en Autriche, pour égaler l’Allemand Sven Hannawald en 2002 et le Polonais Kamil Koch la saison dernière, les seuls à avoir remporté la même année les quatre épreuves les plus prestigieuses du circuit de Coupe du monde.

« La perfection pure »

« Tous les deux étaient des sauteurs si extraordinaires, je ne suis pas encore à leur niveau. Ça ne me préoccupe pas. Je ne pense qu’à Bischofshofen, et là on verra. Je prends les sauts les uns après les autres », a relativisé Kobayashi.

Mais l’éclosion du champion naissant ne passe pas inaperçue. Même son prestigieux prédécesseur, Sven Hannawald, est impressionné lorsqu’il évoque le Japonais : « La perfection pure… » L’entraîneur de l’équipe d’Allemagne, l’un des pays traditionnels du saut à ski, n’en revient également pas. « J’ai rarement vu sur les tremplins de cette planète quelque chose de mieux que le premier saut de Kobayashi [vendredi]. Chapeau bas ! », a lâché Werner Schuster.

Chez lui, le natif de Hachimantai (préfecture d’Iwate), une zone montagneuse et volcanique dans le nord de Honshu, est aussi en passe de devenir un héros. Car, même s’il ne réussit pas le Grand Chelem, il peut entrer dans l’histoire du sport japonais en devenant le deuxième Nippon seulement à remporter la Tournée. Il faut en effet remonter au XXe siècle pour trouver l’unique victoire d’un Japonais, avec Kazuhoshi Funaki en 1998.

Il y a presque cinquante ans, un autre champion japonais avait failli décrocher le Graal en devenant le premier sauteur à ski à réussir ce fameux Grand Chelem – d’autres spécialistes allemands et norvégiens avaient également échoué d’un rien auparavant. En 1972, Yukio Kasaya avait lui aussi remporté les trois premières épreuves de la Tournée mais avait dû renoncer à tenter la passe de quatre. La fédération japonaise l’avait forcé à rentrer au pays pour préparer les Jeux olympiques qui allaient se tenir dans l’archipel à Sapporo.

Décision cruelle, et peut-être même inutile, toujours est-il que cette année-là, Yukio Kasaya était devenu le premier champion olympique japonais des Jeux d’hiver. Un dilemme qui ne concerne pas son lointain successeur Ryoyu Kobayashi. L’ancien garçon turbulent est seul maître de son destin.