Capture d’écran d’une vidéo du compte Twitter de Rahaf Mohammed Al-Qunun, le 6 janvier 2019. / SOCIAL MEDIA / REUTERS

« Je vous en prie, j’ai besoin de vous tous. J’en appelle à l’aide de l’humanité. » Ce cri, c’est celui qu’a posté sur Twitter, dans la nuit du dimanche 6 au lundi 7 janvier, une jeune Saoudienne de 18 ans coincée dans la zone de transit de l’aéroport Suvarnabhumi de Bangkok. Rahaf Mohammed Al-Qunun venait de fuir sa famille après avoir « renoncé à l’islam », selon certaines sources. Elle affirme que ses parents « vont [la] tuer » si elle rentre chez elle et que son passeport a été saisi par un officiel saoudien à son atterrissage à Bangkok.

Au cours de brèves conversations téléphoniques avec l’AFP, l’agence de presse américaine AP et la BBC, la jeune femme, qui a passé la nuit dans la chambre d’un hôtel de transit de l’aéroport, a affirmé qu’elle était en possession d’un visa pour l’Australie et avait réussi à prendre un avion pour Bangkok la veille pour échapper au contrôle de sa famille, alors qu’ils étaient tous en vacances au Koweït.

Rahaf Mohammed Al-Qunun dit qu’elle a fait l’objet en 2018 de mauvais traitements : ses proches l’auraient mise au secret pendant six mois dans une chambre pour la punir de s’être coupé les cheveux. Elle soutient également qu’elle ne voulait pas prier et porter un hidjab, mais qu’elle a été forcée d’obtempérer après avoir été « battue par [son] frère », selon une source thaïlandaise citée par le quotidien Sydney Morning Herald.

Lundi matin, dans un Tweet, l’adolescente s’était prise en photo dans la chambre d’hôtel dont elle avait barricadé la porte avec un matelas avant de dire, impassible, face caméra : « Je ne quitterai pas ma chambre tant que je ne pourrai pas voir quelqu’un du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés ; je demande l’asile. »

Il semble que Rahaf Mohammed Al-Qunun n’avait aucunement l’intention d’entrer sur le territoire thaïlandais et n’avait qu’une seule envie : aller en Australie. Les autorités thaïlandaises ont d’abord semblé avoir eu l’intention de remettre la jeune fille de force dans un avion pour le Koweït. Mais elle a finalement échappé au rapatriement forcé lundi après que les Thaïlandais ont renoncé temporairement.

« C’est une victoire : l’avion pour le Koweït est parti sans elle » a écrit sur Twitter Phil Robertson, responsable adjoint pour l’Asie de l’organisation Human Rights Watch. Une avocate des droits humains, Nadthasiri Bergman, a déposé lundi un recours pour empêcher son expulsion, mais celui-ci a été rejeté par la cour pour manque de preuves et d’éléments sur sa situation.

Le chef du bureau de l’immigration, Surachate Hakparn, a d’abord soutenu que la jeune fille n’avait « ni billet de retour, ni réservation d’hôtel » et ne pouvait donc pas entrer en Thaïlande et devait retourner au Koweït, d’où elle était arrivée. Le responsable de l’immigration de l’aéroport, Pruettipong Prayonsiri, avait abondé en ce sens. « D’où qu’elle vienne, elle doit y rentrer », avait-il déclaré, expliquant qu’elle n’était pas une réfugiée mais une enfant que sa famille veut récupérer et que « l’ambassade [saoudienne] a fait tout le travail avec nous ».

Vives critiques contre Riyad

Face au tollé, la réponse thaïlandaise a évolué dans la journée. Le chef de l’immigration a expliqué, lors d’un point de presse, lundi après-midi, qu’il n’était pas question de renvoyer une personne vers un pays où elle risquerait la peine capitale. « La Thaïlande étant le pays du sourire, bien sûr, nous n’enverrons pas quelqu’un à sa mort » a déclaré Surachate Hakparn, selon le site d’informations Khaosod. Mais Bangkok tient aussi à ses relations avec Riyad. « La chose importante que nous devons garder à l’esprit est le maintien des relations diplomatiques, et sa propre sécurité aussi » a-t-il ajouté.

Ce nouveau scandale intervient alors que Riyad est sous le feu de vives critiques après l’affaire Jamal Khashoggi, ce journaliste saoudien tué en 2018 dans le consulat de son pays à Istanbul. Un hashtag #SaveRahaf a été créé et le chargé d’affaires de l’ambassade d’Arabie saoudite à Bangkok, Abdulilah Al-Shouaibi, a été obligé de reconnaître, lundi, dans une interview à la télévision saoudienne Rotana Khalijia, que le père de la jeune fille l’avait contacté pour demander l’« aide » de la mission diplomatique de son pays en Thaïlande. Sans confirmer que le passeport de Rahaf avait été confisqué.

Cette affaire en rappelle une autre, tout aussi dramatique, qui avait également eu pour cadre un aéroport d’Asie du Sud-Est : en avril 2017, une autre jeune Saoudienne, Dina Ali Lasloom, qui était en transit à l’aéroport de Manille, avait été remise de force dans un avion pour le Moyen-Orient. Elle aussi fuyait sa famille, et elle aussi n’avait pas pu compter sur le soutien d’autorités locales préférant fermer les yeux sur un scandale familial au nom de raisons diplomatiques. Personne n’a plus jamais entendu parler de Dina Ali Lasloom.