Des responsables de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) décomptent les votes à Kinshasa, en RDC, le 4 janvier 2019. / Baz Ratner / REUTERS

« Tentative de coup d’Etat clérical. » Sur la Radio-Télévision nationale congolaise (RTNC), l’expression est lâchée. Depuis que les autorités congolaises ont suspendu Internet, les SMS et Radio France internationale, la chaîne publique est la principale source d’informations en République démocratique du Congo, où la proclamation des résultats partiels de l’élection présidentielle, initialement prévue dimanche 6 janvier, a été reportée sine die par la Commission électorale nationale indépendante (CENI).

L’Eglise catholique, qui a déployé 40 000 observateurs sur tout le territoire le jour du vote, le 30 décembre 2018, a brisé le silence et volontairement perturbé les plans des stratèges du président sortant, Joseph Kabila, certains de la victoire de son dauphin, Emmanuel Ramazani Shadary. L’abbé Donatien Nsholé, secrétaire général de la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco), a annoncé, jeudi 3 janvier, être en mesure de dire qui l’a emporté. Une manière de mettre en garde la CENI, soupçonnée d’être instrumentalisée par le régime en place, contre toute tentative de tricherie.

Depuis, le pouvoir congolais ne s’use plus dans des passes d’armes avec l’opposition. L’acteur encombrant du moment porte la soutane et se révèle plus coriace et incorruptible. Pour le régime de Kinshasa, il s’agit de fragiliser les évêques, de les discréditer pour les empêcher de semer le doute dans la tête des près de 40 millions d’électeurs qui ont voté avec plus de deux ans de retard, le second et dernier mandat de Joseph Kabila ayant pris fin en décembre 2016. Alors la CENI, tout comme la majorité présidentielle, accuse l’Eglise catholique congolaise d’avoir « violé la Constitution ».

Un mot se dégage de cette monodie : « soulèvement ». Les évêques se retrouvent accusés de fourbir une sédition populaire. « Ce qui pourrait porter le peuple congolais au soulèvement serait de publier des résultats (…) qui ne soient pas conformes à la vérité des urnes », rétorque Mgr Marcel Utembi, président de la Cenco, dans une lettre à la CENI, le 5 janvier.

Des « agents subversifs »

JT de 20 heures, samedi sur la RTNC : « La Cenco a tenté de circonvenir un électorat congolais pour lequel elle n’a que mépris. » Dans quel but ? « Paver la voie à des groupes d’influence hors d’Afrique qui n’ont jamais fait le deuil de la rupture du cordon ombilical entre eux et cette énorme réserve de matières premières qu’est la RDC et qui ne rêvent que de réimposer à la présidence à Kinshasa un de leurs laquais », indique un journaliste dont la voix accompagne des images d’évêques présentés comme des intrigants, voire des agents secrets au service d’intérêts étrangers.

Pour étayer cette thèse, la RTNC tend son micro à un certain Eba Amoikon, présenté comme le vice-président d’une obscure mission d’observation de la diaspora africaine en Europe. Il est ivoirien et, à l’écran, il contribue à alimenter le climat de peur en puisant dans l’histoire récente de son pays, marquée par une violente crise post-électorale en 2010-2011 : « 3 000 morts à cause de l’Occident, qui a manipulé tout le monde. La mission des catholiques doit être indépendante. »

Incontournable, l’Eglise congolaise perpétue une tradition d’intervention dans le champ politique lorsqu’elle l’estime nécessaire. Orchestrée par la Cenco, elle est l’une des rares institutions pleinement opérationnelles dans le pays et n’a jamais hésité à défier les régimes. Elle a ainsi joué un rôle de premier plan dans la longue lutte pour la démocratisation du Zaïre de Mobutu Sese Seko, qui, comme la RTNC aujourd’hui, tendait à considérer les prélats qu’il ne contrôlait pas comme des « agents subversifs ».

Depuis deux ans, Joseph Kabila sait qu’il a plus à craindre de cette Cenco que de l’opposition. Il a signé un accord avec le Vatican, avant d’inviter le nonce apostolique à quitter le pays en janvier 2018. Comme pour neutraliser la Cenco, il a chargé les évêques de faciliter le dialogue entre le pouvoir et l’opposition pour sortir de la crise aggravée par son maintien au pouvoir. Un accord a été arraché douze jours plus tard, prévoyant un partage du pouvoir et la tenue d’élections fin 2017. En vain.

De la médiation à la contestation

La Cenco s’est sentie humiliée, instrumentalisée par Joseph Kabila, qui semblait vouloir gagner du temps. Elle est passée de la médiation à la contestation, en réactivant indirectement le Comité laïc de coordination (CLC), constitué en 1992 pour défier Mobutu. Face à Joseph Kabila, la structure a mobilisé la foule, lasse du pouvoir et dégoûtée des manœuvres politiciennes d’une opposition divisée, pour marcher pacifiquement, un an après la signature de l’accord. Ces manifestations ont été brutalement réprimées par les forces de sécurité. « L’Eglise et le CLC n’ont d’autre but que de créer une situation insurrectionnelle à Kinshasa », confiait alors un conseiller du président Kabila.

Le 31 décembre 2017, l’influent cardinal Monsengwo, alors archevêque de Kinshasa, avait déclaré : « Il est temps que la vérité l’emporte sur le mensonge systémique, que les médiocres dégagent. » Une expression toujours en vogue dans les faubourgs de Kinshasa, où l’austère Monsengwo est devenu « cool » pour une partie de la jeunesse, orpheline de son chef de file, Etienne Tshisekedi, mort début 2017 à Bruxelles.

L’Eglise n’a depuis cessé d’exercer son influence pour empêcher Joseph Kabila de se maintenir au pouvoir et pour bloquer un dessein supposé de la CENI de reporter les élections. « Nous ne sommes pas au Vatican, ici. Nous sommes au Congo et il y a une loi », a déclaré le ministre de l’information, Lambert Mende, au site Politico.cd.

Mais l’Eglise n’est pas la seule à peser sur la CENI. Corneille Nangaa, le président de la commission électorale, subit d’intenses pressions tant du pouvoir que de l’opposition, mais aussi des observateurs des organisations régionales. « Nous savons qui a gagné et nous ne nous tairons pas », lui a déclaré un responsable d’une mission d’observation lors d’une réunion en présence des trois grands candidats ou de leurs représentants. Samedi, la coalition soutenant l’opposant Martin Fayulu a également « mis en garde la CENI contre toute tentative de modifier les résultats ».

Huis clos à New York

A New York, le Conseil de sécurité des Nations unies s’est réuni à huis clos, le 4 janvier, pour parler de la situation congolaise. La France et les Etats-Unis ont renouvelé leur souhait de voir la CENI proclamer des résultats conformes au choix des Congolais dans les urnes et dénoncé la suspension des télécommunications. L’Afrique du Sud, comme la Chine et la Russie, ont salué la tenue de ces élections et se sont opposées à la publication d’une déclaration, proposée par la France, avant la proclamation officielle des résultats par la CENI, arguant du respect de la souveraineté de la RDC.

L’ambassadeur d’Afrique du Sud aux Nations unies, Jerry Matjila, a comparé la Cenco à une de ces ONG qui « peuvent dire ce qu’elles veulent », précisant ne se fier qu’aux résultats officiels. Ce qui lui a valu de passer au journal télévisé de la RTNC.