Photo de l’agence spatiale chinoise du rover qui a aluni sur la face cachée de la Lune le 3 janvier. / AP

Editorial du « Monde ». Le début de l’année 2019 a été astronomique. La NASA a frôlé Ultima Thulé, un corps perdu à 6,5 milliards de kilomètres de notre planète, dont l’agence spatiale américaine a souligné qu’il était « le plus distant jamais visité ». Deux jours plus tard, l’agence chinoise de l’espace a posé un engin sur la face cachée de la Lune. Dans les deux cas, les rivaux planétaires ­revendiquent une première, chacune éveillant à juste titre admiration et émerveillement. C’est de bonne guerre médiatique ; il n’est pas une mission spatiale qui ne mette en exergue un élément inédit.

La percée chinoise a sans doute d’autant plus frappé les esprits que la Lune est notre astre le plus familier, et sa face cachée son visage le plus mystérieux. Il faut cependant ramener la mission Chang’e 4 à sa juste proportion : 2019 sera l’année du cinquantenaire de la mission Apollo 11, au cours de laquelle le premier homme, un Américain, Neil Armstrong, a mis le pied sur la Lune. Le Lapin de jade mécanique, le petit rover chinois, ne peut rivaliser avec cette première historique indépassable. Seul l’arrivée de l’homme sur Mars – toujours repoussée – pourrait lui faire de l’ombre.

Explorer la face cachée de la Lune nécessite essentiellement de disposer d’un ­satellite relais et de la volonté politique de retourner sur un astre que votre rival a ­délaissé depuis plus de quarante ans. Cela ne constitue pas un exploit scientifique – même si la maîtrise technique requise reste notable. En termes d’ambition géopolitique, en revanche, c’est assurément un signal.

Un instrument de souveraineté

La Chine poursuit patiemment un programme d’exploration spatiale, dont le ­volet humain passe par la Lune. Elle est aujourd’hui la seule, avec la Russie, à disposer d’un « taxi » pour mettre des équipages en orbite. Mais les Etats-Unis, qui ont mis leurs navettes à la retraite en 2011, ­devraient recouvrer leur autonomie dès cette année, grâce aux capsules imaginées sur fonds publics par les entreprises privées SpaceX et Boeing.

En nombre de fusées lancées, la Chine peut aujourd’hui rivaliser avec les Etats-Unis. Son budget spatial, opaque, reste cependant sans commune mesure avec celui de Washington : moins de 10 milliards de dollars (moins de 9 milliards d’euros) en 2017, contre cinq fois plus pour les Etats-Unis, programmes militaires et ­civils confondus. Géant entravé, la Russie risque d’être éclipsée, comme l’Europe, qui a toujours misé sur la coopération.

Cette progression de la Chine, en solo – les Etats-Unis ont banni toute collaboration pour protéger leurs technologies sensibles –, s’inscrit dans un effort scientifique plus vaste, là aussi parfois en trompe-l’œil : si la Chine a surpassé en 2016 les Etats-Unis en nombre de publications scientifiques, des indicateurs de qualité montrent que le différentiel entre les deux superpuissances reste largement à l’avantage des Américains, selon la revue Nature.

La maîtrise de l’espace est avant tout un instrument de souveraineté. La Chine en contrôle tous les aspects, ou presque, et peut désormais envisager le déploiement de missions plus tournées vers la science, offrant un visage avenant à ses ambitions. La communauté internationale choisira-t-elle la voie de la coopération avec la Chine, comme elle l’avait fait avec la Russie et l’aventure de la Station spatiale internationale, pour de grands projets d’exploration ? On voit mal un Donald Trump s’y résoudre. La conquête de l’espace, cependant, se construit rarement à l’horizon d’une échéance électorale.

La Chine pose un premier module sur la face cachée de la Lune
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