La secrétaire générale de l’OIF, Louise Mushikiwabo, à Paris, le 7 janvier 2019. / LIONEL BONAVENTURE / AFP

L’Organisation internationale de la francophonie (OIF), parfois perçue comme un outil d’influence de Paris, va-t-elle devenir celui de Paul Kagame ? Sa nouvelle secrétaire générale, la Rwandaise Louise Mushikiwabo, s’en défend, mais les analystes sont perplexes. « Il sera de son intérêt de ne pas apparaître comme le pion de Paul Kagame si elle veut survivre à la tête de cette institution », explique à l’AFP le philosophe camerounais Achille Mbembe.

Mme Mushikiwabo, qui a pris ses fonctions jeudi 3 janvier, sait que son action sera observée de près. Elle a été l’objet de nombreuses critiques lors de son élection en octobre à la tête de l’OIF, qui ne l’ont cependant pas empêchée d’évincer la sortante canadienne, Michaëlle Jean. Ministre des affaires étrangères du Rwanda depuis décembre 2009, elle est une fidèle du président Paul Kagame, souvent dénoncé pour son traitement des droits humains. Une attitude contradictoire, selon les détracteurs de Mme Mushikiwabo, avec le « soutien aux droits de l’homme » qui figure parmi les missions premières dans la charte de l’OIF, sorte de mini-ONU regroupant 88 Etats et gouvernements (soit près de 300 millions de francophones).

Soutien d’Emmanuel Macron

« Le ou la secrétaire générale d’une organisation représente et met en œuvre la politique définie par l’ensemble des Etats membres, rappelle Jocelyn Coulon, chercheur au Centre d’études et de recherches internationales de Montréal. Elle devra donc défendre les décisions prises pour les Etats et je ne serais pas surpris de la voir publier des communiqués sur la situation au Rwanda. » Mme Mushikiwabo semble en être bien consciente : « Désormais, je ne suis plus ministre des affaires étrangères du Rwanda, assure-t-elle dans un entretien à l’AFP. Je travaille pour la Francophonie, je représente la Francophonie. »

Mais pour Antoine Glaser, écrivain et journaliste français spécialiste de l’Afrique, la Rwandaise ne réussira pas à s’affranchir de son ancienne tutelle. « Elle va rester totalement dans le giron de Paul Kagame », croit-il. Ainsi, « la priorité ne sera pas les droits de l’homme, cela s’est déjà vu dans ses premières déclarations, qui ont évoqué plutôt le bien-être, la santé… » Avec Mme Mushikiwabo à sa tête, l’OIF, jusqu’alors « outil d’influence de la France, va devenir l’outil d’influence de Paul Kagame ». En revanche, prédit Antoine Glaser, l’ancienne ministre « s’affranchira de la France », traditionnelle puissance tutélaire de l’OIF.

La nouvelle secrétaire avait pu compter sur le soutien du président français, Emmanuel Macron, ce qui avait été perçu comme le symbole d’un réchauffement entre Paris et Kigali, dont les relations étaient exécrables en raison des accusations rwandaises sur un éventuel rôle français dans le génocide de 1994. Mme Mushikiwabo « est le petit gage qu’Emmanuel Macron a dû payer à Paul Kagame en contrepartie du léger réchauffement des relations entre la France et le Rwanda », estime Achille Mbembe.

Adoubement ostentatoire

C’est à Paris, en mai 2018, que M. Kagame a annoncé la candidature de sa ministre à la tête de l’OIF, qui plus est lors d’une conférence de presse conjointe avec Emmanuel Macron : cet adoubement ostentatoire a fait grincer nombre de dents en Afrique, où la Francophonie est souvent perçue comme un instrument au service de la France, premier contributeur financier de l’OIF. Il y a cependant « une vraie volonté d’Emmanuel Macron de sortir de la Françafrique et de s’appuyer sur l’Union africaine », explique M. Glaser. Il n’y aura donc « pas de pression directe de la France sur Mme Mushikiwabo ».

Dans son message de félicitations à sa prise de fonctions, la France a cependant pris bien soin d’évoquer les « droits de l’homme » parmi les « valeurs francophones » à défendre. « Comme traditionnellement, la France ne s’occupe de l’OIF qu’au moment du renouvellement » du numéro un : Mme Mushikiwabo ne devrait donc pas se voir dicter sa conduite par Paris, juge Pierre-André Wiltzer, ancien ministre français de la francophonie (2002-2004), qui accuse M. Macron de s’être « servi de l’OIF comme d’un joujou pour une opération diplomatique ».