Depuis le début du mouvement des « gilets jaunes », des parlementaires, en particulier les députés de La République en marche (LRM), sont violemment pris à partie. Une députée macroniste a vu sa voiture brûlée par des manifestants, la maison d’un autre a été taguée à trois reprises, nombre d’entre eux reçoivent des messages injurieux et des menaces de mort. Un phénomène d’une ampleur inédite, selon l’historien Christophe Bellon, maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université catholique de Lille et chargé d’enseignement à Sciences Po Paris, spécialiste de l’histoire parlementaire.

Des domiciles de parlementaires visés, des lettres d’insultes, des menaces… ce type de violences contre les députés a-t-il été fréquent dans l’histoire récente ?

On les retrouve sporadiquement au cours du XXe siècle, au moment d’extrêmes tensions. Quand se conjuguent des crises sociales, économiques et un contexte international extrêmement tendu, il y a toujours un fond d’antiparlementarisme qui s’exprime. Néanmoins, cette multiplication des violences contre les députés n’a pas d’équivalent sous la Ve République. Il a eu des violences entre élus, des intimidations mais circonscrites, par exemple à des attaques contre leurs permanences. Mais on n’en trouve pas sous forme d’un mouvement social comme celui-ci.

Quels sont les précédents au XXe siècle ?

Le phénomène actuel ressemble beaucoup à des mouvements ayant eu lieu sous la IIIe et la IVe République. Il y a d’abord eu les mobilisations paysannes, lors de toutes les crises viticoles dans le Midi, en Champagne, en 1907 et 1911. Pendant plusieurs mois, les mouvements agraires vont s’en prendre directement aux parlementaires. L’un d’eux est empêché pendant plusieurs jours de sortir de son domicile car il est attendu par des militants. Un autre voit son effigie brûlée près de chez lui.

Puis dans les années 1930, ces tensions existent autour du Parti agraire et paysan français. Des manifestations sont organisées, les cortèges se dirigent vers les Champs-Elysées, à Paris, et sont gérés de façon à ce que les participants puissent se rendre au domicile des parlementaires afin de les y bousculer. A l’époque, un trombinoscope était édité, qui publiait les adresses personnelles des élus.

En 1933, une liste des parlementaires dits « coupables » est dressée et le message est passé d’exercer une « pression physique » sur eux. Les témoignages de violences contre les élus sont multiples.

Et sous la IV?

A la fin de l’année 1955, la révolte contre l’impôt fait naître le mouvement poujadiste. Les événements n’ont pas lieu à Paris mais en province. Les députés sont alors pris à partie dans des réunions publiques et tombent dans de véritables guets-apens.

Comment se sont calmées ces révoltes ?

Dans les années 1930, les tensions ont toujours précédé des élections législatives et se sont éteintes après celles-ci, et la mise en place de politiques satisfaisant certaines revendications. Sous la IVe République également elles s’arrêtent après des élections : le mouvement social meurt avec l’entrée du mouvement poujadiste à l’Assemblée nationale en 1956.

Comment expliquer que ces phénomènes ne se soient pas retrouvés au cours de la Ve République ?

Il y a plusieurs facteurs. D’abord, de plus en plus, les élus ont eu des bureaux et, à partir des années 1960-1970, des assistants parlementaires. Ils sont donc plus protégés, moins accessibles. Ce qui est étonnant dans le mouvement actuel, c’est que la Ve République est un régime où le Parlement est considéré comme moins important que l’exécutif, comme une chambre bavarde où on ne prend pas de décisions. Que les conflits se portent là-dessus, cela légitimise le Parlement. On se rend compte que les parlementaires ont un réel pouvoir. Et que le fond d’antiparlementarisme est toujours là et sait trouver des formes pour s’exprimer.