Capture d’écran d’une vidéo diffusée sous forme de publicité affirmant qu’Emmanuel Ramazani Shadary avait remporté l’élection.

Dans la nuit du mercredi 9 janvier, la commission électorale de la République démocratique du Congo a proclamé, dix jours après le vote, la victoire du candidat de l’opposition, Félix Tshisekedi. Cette annonce a été vivement critiquée par la Conférence épiscopale nationale du Congo, qui avait procédé à ses propres décomptes et affirme que la victoire reviendrait à Martin Fayulu.

Mais dans les jours précédant cette annonce officielle, des internautes ont pu voir un tout autre résultat, proclamé sur des publicités affichées sur les réseaux sociaux et certains sites : des images et des vidéos annonçant que le vainqueur était le candidat adoubé par le président Kabila, Emmanuel Ramazani Shadary. Certaines publicités le présentaient comme le « président élu ». D’autres expliquaient qu’un décompte officiel sur « plus de 60 % des bureaux de vote » permettait d’affirmer que le candidat, arrivé troisième selon les résultats proclamés, était mathématiquement vainqueur.

L’impact de ces publicités a été limité – le gouvernement a ordonné la coupure d’Internet en RDC depuis les élections, limitant grandement la diffusion de ces messages sur le territoire. Le chercheur Ethan Zuckerman, qui a lancé un appel à témoignages pour documenter cette tentative de manipulation, explique que les internautes lui ayant signalé l’existence de ces publicités vivent dans les pays frontaliers de la RDC. La campagne était diffusée sur de nombreuses plateformes : les mêmes publicités ont été publiées à la fois sur Facebook, YouTube et via les publicités Google Adwords, qui peuvent apparaître sur de très nombreux sites.

Des publicités similaires diffusées

Signalées par des internautes à Facebook et Google, une partie de ces publicités ont été supprimées. Mais Le Monde a pu constater, ces 9 et 10 janvier, que des publicités similaires étaient toujours diffusées par plusieurs pages Facebook, en violation de la loi électorale du pays.

Deux publicités encore diffusées ce 10 janvier en RDC.

Au cœur d’un petit groupe de comptes Facebook et Twitter créés quelques jours avant les élections : le site CongoActu24

Qui est à l’origine de cette campagne ? Outre une poignée de militants pro-Shadary, qui ont relayé sur Facebook ou Twitter ces messages donnant leur candidat vainqueur, un réseau de comptes Facebook, Twitter et de sites douteux semblent avoir été les principaux diffuseurs de ce message. Un petit groupe de comptes Facebook et Twitter, tous créés quelques jours avant les élections, aux environs du 20 décembre, a activement cherché à propager ces publicités. Au cœur de ce groupe, le site CongoActu24, qui se présente comme un « journal satirique et d’infos vraies ». Mis en ligne en décembre, le site, hébergé sur la plateforme WordPress.com, dispose d’une page Facebook comptant plus de 25 000 abonnés, vraisemblablement achetés auprès d’un service spécialisé. Cette page a servi à la diffusion des publicités, et publié une dizaine d’articles affirmant que M. Shadary avait remporté l’élection ou allait le faire.

CongoActu24 semble lié à une autre page Facebook importante, Bendele243, qui compte plus de 45 000 abonnés. Cette page a servi à diffuser les publicités payantes affirmant que M. Shadary avait remporté l’élection. Dans la nuit du 9 au 10 janvier, elle a également été utilisée pour promouvoir une vidéo de CongoActu24 mettant en cause la victoire de M. Tshisekedi, baptisée « La vérité des urnes ».

Une campagne « artisanale »

La manière dont ces publicités ont été diffusées s’appuie, en partie, sur les outils déjà utilisés par les services de propagande russes de l’Internet Reseach Agency (IRA) durant l’élection présidentielle américaine de 2016 : faux comptes, faux abonnés, utilisation des outils publicitaires des géants du Web… Mais la campagne pro-Shadary diffusée ces derniers jours est très loin du degré de sophistication atteint par les agents russes en 2016.

Un unique message peu subtil (…) à une date où Internet était déjà coupé en RDC

Là où l’IRA avait diffusé une multitude de messages différents, visant à attiser les dissensions de groupes d’électeurs à qui des publicités très ciblées étaient diffusées, la campagne pro-Shadary s’est contentée d’un unique message peu subtil. L’utilisation de ces outils semble par ailleurs avoir débuté à une date où Internet était déjà coupé en RDC, ce qui a largement limité l’impact qu’aurait pu avoir cette campagne, et le ciblage des internautes semble avoir été rudimentaire.

Le budget dont a bénéficié cette campagne reste difficile à estimer. Les services publicitaires de Google, Facebook et Twitter fonctionnent selon un principe de « panier » : l’annonceur choisit une somme, et les publicités sont diffusées jusqu’à épuisement de celle-ci. La coupure du réseau dans le pays a grandement limité les possibilités de diffusion des publicités, et il est donc difficile d’évaluer l’ampleur de l’investissement réalisé. Sollicités par Le Monde, Facebook et Google n’étaient pas en mesure de donner plus de détails sur cette campagne au moment de la publication de cet article.

Quel qu’ait été son budget, l’existence de cette campagne démontre cependant que le « manuel russe » en matière de désinformation en ligne peut être aisément adapté et utilisé par des acteurs aux moyens limités.