Khadija Ismaïlova à Bakou, Azerbaïdjan, en 2016. / Aziz Karimov / AP

La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné, jeudi 10 janvier, l’Azerbaïdjan pour n’avoir pas enquêté sur une campagne de harcèlement visant à faire taire une journaliste anticorruption qui enquêtait sur des proches du président azerbaïdjanais.

Khadija Ismaïlova avait publié, entre 2010 et 2012, plusieurs enquêtes sur une affaire de corruption dans laquelle des membres de la famille du président Ilham Aliyev auraient été impliqués. Cette militante anticorruption avait alors reçu une lettre, « postée à Moscou », la menaçant « d’humiliation publique » si elle ne cessait pas ses enquêtes.

Mme Ismaïlova refusa et, quelques temps plus tard, une vidéo « à caractère sexuel » la montrant avec son petit ami était diffusée sur le Net, rappelle la Cour dans son arrêt. Deux autres vidéos à caractère « intime » furent postées et plusieurs journaux pro-gouvernementaux l’accusèrent de « parti pris antigouvernemental et d’immoralité ».

« Un affront à la dignité humaine »

Mme Ismaïlova découvrit ensuite dans son appartement plusieurs caméras dissimulées ainsi que des câbles de données utilisés pour transmettre les images intimes. « De pareils actes constituent un affront à la dignité humaine (...) sur laquelle l’Etat (azerbaïdjanais) était tenu d’enquêter », pointe la Cour. « L’enquête a été entachée de carences et de retards », les enquêteurs n’ayant « pas cherché à déterminer s’il existait un lien entre le fait que Mme Ismaïlova était une journaliste d’investigation (...) très critique à l’égard du gouvernement et les actes criminels » la visant, souligne la CEDH.

Les juges strasbourgeois ont conclu « à l’unanimité » à la violation des articles 8 (droit au respect de la vie privée) et 10 (liberté d’expression) de la Convention européenne des droits de l’homme. Ils ont condamné Bakou à verser 15 000 euros à la journaliste au titre du préjudice moral.

La CEDH « a reconnu le fait d’ingérence dans ma vie privée (qui visait) à m’empêcher de dire la vérité », a déclaré Mme Ismaïlova, regrettant toutefois que la Cour n’ait pas « indiqué quelles mesures concrètes les autorités d’Azerbaïdjan devaient prendre pour rétablir la justice ». Khadija Ismaïlova a passé plus de dix-sept mois en prison depuis décembre 2014. Accusée notamment d’évasion fiscale par le ministère des impôts de cette ex-république soviétique, elle a été condamnée fin décembre à une amende d’environ 22 770 euros. Les ONG de défense des droits de l’homme critiquent régulièrement l’Azerbaïdjan, toute contestation provoquant, selon elles, une réaction sévère des autorités de ce pays riche en pétrole.