C’était à prévoir : une nouvelle controverse relative à la laïcité s’est greffée sur la gestation du futur service national universel (SNU). Elle enfle depuis que, le 2 janvier, l’Observatoire de la laïcité a publié une étude sur l’application du principe de laïcité dans le cadre de cette réforme préparée par le gouvernement. L’organisme présidé par Jean-Louis Bianco y signale notamment que la loi du 15 mars 2004, prohibant le port de signes et tenues religieux ostentatoires par les élèves de l’enseignement public, ne pourra pas s’appliquer telle quelle à la première phase du SNU, où les jeunes des classes de 2de (de 14 à 16 ans) seront astreints, pour une quinzaine de jours dont au moins un week-end, à une période d’hébergement collectif. Il n’en fallait pas plus pour échauffer les esprits.

Interrogé mardi 8 janvier par i24news sur ce que cette chaîne d’information internationale présentait comme une « recommandation » de l’observatoire – autoriser le port de signes religieux pendant ces journées d’intégration –, le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, a déclaré : « L’Observatoire de la laïcité ne m’a pas consulté avant de faire cette recommandation. C’est évidemment une recommandation que je ne suivrai pas. » Le ministre semblait ainsi se ranger aux côtés des partisans d’une obligation de neutralité religieuse pendant le SNU, qui, après un article à charge de l’hebdomadaire Marianne, se sont exprimés sur les réseaux sociaux.

« Analyse juridique »

Cette levée de boucliers a été accueillie avec contrariété à l’observatoire. « Cette note ne fait aucune recommandation, proteste Nicolas Cadène, le rapporteur général de cet organisme public indépendant. Elle ne fait que du droit. C’est une analyse juridique, un rappel du cadre légal. » Elle a été adoptée par consensus par l’assemblée plénière, où les administrations sont représentées, puis transmise le 20 décembre au cabinet du ministre. L’observatoire avait été saisi fin novembre par Gabriel Attal, le secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse chargé de préparer le SNU.

C’est la période de vie en collectivité qui soulève les questions les plus délicates. Les jeunes qui le souhaiteront pourront-ils y arborer des signes religieux ? Pourront-ils avoir accès à de la nourriture « confessionnelle » ? Auront-ils la possibilité de pratiquer leur culte pendant ces deux semaines ? Les réponses à ces questions supposent une petite plongée dans le droit. La laïcité oblige les agents de l’Etat et des collectivités publiques à une stricte neutralité religieuse envers les particuliers. Ceux-ci, en revanche, sont libres de manifester leurs convictions comme ils l’entendent, dans le respect de l’ordre public et du bon fonctionnement du service concerné. Du temps du service militaire obligatoire, c’est parce qu’ils avaient un statut militaire et exerçaient une mission de service public que les appelés du contingent étaient astreints à la neutralité. Ce ne sera pas le cas avec le SNU.

Dans ce cadre général, la loi de mars 2004 établit une exception en interdisant aux collégiens et lycéens de l’enseignement public de porter des signes ou tenues qui « manifestent ostensiblement une appartenance religieuse ». Cette exception avait été justifiée par la nécessité de préserver de toute pression confessionnelle les consciences en formation des élèves. La loi de 2004 pourrait-elle s’appliquer aux jeunes « appelés » du SNU lors des deux semaines d’hébergement collectif ? Non, répond l’observatoire. D’abord parce que les jeunes concernés ne seront pas accueillis en tant qu’élèves, mais en tant que « simples usagers, futurs citoyens ». Si, malgré tout, le SNU était assimilé à une période d’internat scolaire, une autre difficulté surgirait : la loi de 2004 ne s’appliquant pas aux élèves de l’enseignement privé, il serait inenvisageable de faire se côtoyer des jeunes placés sous deux régimes différents.

Pratique cultuelle permise

Pour l’observatoire, il serait cependant possible qu’une nouvelle loi ad hoc encadre le port de signes et tenues religieux lors de ce séjour en internat. Mais cet encadrement ne peut consister, selon lui, en une interdiction générale et permanente pendant deux semaines, sauf à « méconnaître plusieurs dispositions à valeur constitutionnelle ou conventionnelle » sur la liberté de conscience et de culte. La note suggère de faire une distinction entre l’activité en journée, où le port de signes religieux pourrait être restreint, et « les périodes de temps libre ».

Pour ce qui concerne l’alimentation, l’observatoire indique que les internats pourront se contenter d’offrir des repas avec ou sans viande, à condition que les « appelés » puissent se procurer des repas alternatifs conformes aux prescriptions religieuses par un système de cantine. Permise, la pratique cultuelle (prière) ne pourra en aucun cas avoir un caractère collectif. Elle devra avoir lieu sur le temps libre des appelés, au besoin dans une salle mise à disposition. Une sortie pour se rendre dans un lieu de culte pourra être accordée si elle « ne perturbe pas le bon fonctionnement du SNU ». La question la plus compliquée pourrait être celle de l’observance du shabbat, en fonction du type d’activités prévues le samedi.