Manifestation antigouvernementale dans les rues de la capitale soudanaise Khartoum, le 25 décembre 2018. / Mohamed Nureldin Abdallah / REUTERS

Vingt-deux personnes sont mortes dans les manifestations antigouvernementales qui secouent le Soudan depuis trois semaines, ont annoncé jeudi 10 janvier les autorités, les organisateurs de la contestation appelant à de nouveaux rassemblements vendredi. En plein marasme économique, le Soudan est en proie depuis le 19 décembre à des manifestations provoquées par la décision du gouvernement de tripler le prix du pain. Les protestations se sont rapidement transformées en un mouvement contre le président Omar Al-Bachir, qui tient le pays d’une main de fer depuis un coup d’Etat en 1989.

Jeudi, la police a annoncé que trois manifestants étaient morts à la suite d’un rassemblement de protestation qu’elle a qualifié d’« illégal » dans la ville d’Omdourman, voisine de Khartoum. « Nous avons ouvert une enquête », a précisé le porte-parole de la police Hashim Abdelrahim dans un communiqué sans donner davantage de détails sur la cause des décès.

Des « voyous » et des « conspirateurs »

Mercredi, des centaines de personnes avaient scandé « liberté, paix et justice » et « la révolution est le choix du peuple » lors de cette manifestation à Omdourman, avant d’être dispersées par les forces anti-émeutes à l’aide de gaz lacrymogènes. Le même jour, des milliers de personnes s’étaient rassemblées à Khartoum, sous haute sécurité, pour soutenir le président soudanais Omar Al-Bachir.

Les autorités avaient jusqu’à présent confirmé 19 morts, dont deux membres des services de sécurité, depuis le 19 décembre. Les ONG Human Rights Watch et Amnesty International ont, elles, donné un bilan d’au moins 40 morts. Mercredi, un médecin avait indiqué à l’AFP que six manifestants recevaient des soins dans le principal hôpital d’Omdourman après avoir été blessés par des tirs. Des médecins de cet hôpital ont en outre indiqué que la police avait tiré du gaz lacrymogène dans l’établissement.

Jeudi, le gouverneur de Khartoum, Hassim Oman, a mis en place un comité pour enquêter sur les incidents à l’hôpital d’Omdourman, a indiqué son bureau dans un communiqué. Le président Al-Bachir et d’autres responsables politiques ont imputé la violence de ces dernières semaines à des « voyous » et des « conspirateurs », sans toutefois les nommer.

Mercredi, devant une foule de partisans rassemblés dans le grand jardin Green Yard de la capitale, il a affiché sa fermeté. « Ce rassemblement envoie un message à ceux qui pensent que le Soudan va finir comme d’autres pays qui ont été détruits, a dit le président sous les acclamations de la foule. Nous arrêterons quiconque détruit nos biens. » « Ceux qui ont essayé de détruire le Soudan ont mis des conditions pour résoudre nos problèmes, mais notre dignité vaut plus que des dollars », a-t-il précisé dans une allusion à l’embargo commercial imposé par Washington en 1997, qui n’a été levé qu’en 2017. M. Al-Bachir et d’autres responsables gouvernementaux continuent d’attribuer à Washington la responsabilité des maux économiques du Soudan.

« Consternés par l’usage de balles réelles »

Les organisateurs des manifestations ont appelé à de nouveaux rassemblements après la prière du vendredi, jour de repos hebdomadaire au Soudan, y compris dans la ville d’Atbara, à 250 kilomètres au nord de Khartoum. « Nous appelons aussi les Soudanais à continuer leurs manifestations sur leur lieu de résidence », a écrit dans un communiqué l’Association des professionnels soudanais qui regroupe entre autres des médecins, des professeurs et des ingénieurs.

Plus de 800 manifestants ont été arrêtés depuis le début de la contestation, selon les autorités. Des responsables de l’opposition, des militants et des journalistes ont été également interpellés. « Les protestations sont persistantes mais n’ont pas monté en intensité de manière significative » ces derniers jours, estime Matt Ward, analyste spécialiste de l’Afrique au centre d’analyse Oxford Analytica.

La Grande-Bretagne, la Norvège, les Etats-Unis et le Canada ont exhorté mardi le Soudan à enquêter sur la mort des protestataires, se disant « consternés par l’usage de balles réelles contre les manifestants ». Les actions de Khartoum « auront un impact » sur leurs relations, ont prévenu ces quatre pays. Selon Khartoum, leurs préoccupations sont « biaisées et éloignées de la réalité ». « Le Soudan est attaché à la liberté d’expression et aux manifestations pacifiques », a déclaré mercredi le ministère des affaires étrangères.