Félix Tshisekedi, déclaré vainqueur de la présidentielle en RDC, le 10 janvier, à Kinshasa. / OLIVIA ACLAND / REUTERS

Editorial du « Monde ». Une série d’événements extraordinaires se sont produits, depuis deux ans, en République démocratique du Congo (RDC). A partir de décembre 2016, bravant la répression, les Congolais et l’Eglise catholique ont fini par contraindre le président, Joseph Kabila, à renoncer à se maintenir au pouvoir au-delà de la limite constitutionnelle. Il lui a fallu dix-huit mois pour mettre cette décision en œuvre, mais, en août 2018, pour la première fois dans l’histoire du pays, un président sortant a accepté de ne pas se représenter.

Des candidats d’opposition se sont présentés à l’élection présidentielle. Puis, le 30 décembre, les électeurs de la RDC se sont rendus aux urnes. Et, bien que dans des conditions parfois rudimentaires dans cet immense pays, le scrutin a eu lieu. Dans certaines régions, des électeurs privés d’élection pour des raisons d’urgence sanitaire ont pris sur eux d’aller voter. L’Eglise catholique a envoyé 40 000 observateurs dans les bureaux de vote. Pendant dix jours, les Congolais ont retenu leur souffle. Jeudi 10 janvier, le verdict de la Commission électorale est tombé : le candidat soutenu par le régime Kabila était battu. L’opposant Félix Tshisekedi a été proclamé vainqueur, avec 38,5 % des voix, selon des résultats provisoires.

Jean-Yves Le Drian sceptique

L’alternance politique par les urnes est une première historique pour ce pays de 80 millions d’habitants, au passé tragique. Le problème, c’est que l’Eglise catholique, dont les observateurs avaient conclu, sur la foi des données collectées dans les bureaux de vote, à la victoire de l’autre opposant, Martin Fayulu, a fait savoir que les résultats proclamés par la Commission électorale ne correspondaient pas aux siens.

La communauté diplomatique de Kinshasa, qui avait été informée par l’Eglise de la probable victoire de M. Fayulu, est également sceptique, comme l’est le ministre français des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, qui l’a fait savoir publiquement, jeudi. Les Etats-Unis ont souhaité des « éclaircissements ». Martin Fayulu, crédité de 34,8 % des voix, conteste lui-même les résultats et appelle ses électeurs à le soutenir.

Cette alternance historique est-elle usurpée ? Il appartient à la Commission électorale d’en décider. S’il y a contestation, c’est dans ce cadre-là qu’elle doit se faire, puisqu’il s’agit de résultats provisoires, plutôt que par des appels à la rue – dont l’Eglise catholique s’est d’ailleurs bien gardée. La remarquable maturité démocratique dont a fait preuve le peuple congolais depuis deux ans ne doit pas être compromise dans cette phase délicate de l’après-scrutin.

Briser l’immobilisme

La RDC a fait un gigantesque pari, celui d’une transition pacifique, négociée, plutôt qu’imposée par la force ou le chaos. L’Afrique centrale, paralysée depuis trop longtemps par la sclérose politique et les crises de succession, ne pouvait que se réjouir d’une telle évolution. Un modèle de transition politique a vu le jour dans cette région de l’Afrique, celui de successions négociées au sein de « partis-Etats », comme cela s’est fait en Angola, en Afrique du Sud, ou au Zimbabwe. C’est un modèle imparfait, mais qui brise l’immobilisme.

En se rapprochant dernièrement de M. Kabila, M. Tshisekedi semble vouloir jouer une carte similaire. Faut-il sauvegarder ce qui paraît déjà une avancée ? Une énorme responsabilité repose à présent sur l’Eglise catholique, dernier garde-fou en RDC, et sur les acteurs régionaux, pour éviter une crise grave.