Yvette, Camerounaise de 46 ans, a passé cinq ans en Algérie avant d’être refoulée au Niger. / BACHIR POUR LE MONDE

Yvette s’est faite belle pour la photo, avec une paire de créoles. Pourtant, la fatigue se dessine sur son visage et sa voix monocorde trahit une lassitude. Celle d’une vie façonnée par un projet migratoire sans cesse contrarié. Cette Camerounaise de 46 ans fait partie des 25 000 migrants ouest-africains arrêtés en Algérie en 2018 et expulsés sans préavis vers le Niger voisin. Depuis un an, le refoulement massif des migrants subsahariens s’accélère et chaque semaine, le Niger accueille des convois de déportés, par centaines.

A Agadez, la première grande ville nigérienne sur la route du sud, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) propose une prise en charge aux refoulés non nigériens s’ils acceptent un retour volontaire dans leur pays d’origine. Début décembre, Yvette s’apprête à rentrer au Cameroun après cinq ans de vie en Algérie. Là-bas, assure-t-elle, la recrudescence des arrestations de migrants a installé un climat délétère : « Les gens se terrent dans les maisons. On a peur. Quand on sort, on se tient prêt à courir. »

« Mon fils aîné a fait partie des tout premiers refoulés, en 2016, poursuit-elle. Je lui ai envoyé de l’argent au Niger pour qu’il revienne en Algérie. » Pour préserver ses deux filles âgées de 8 et 22 ans, Yvette a décidé de se séparer d’elles : « Je les avais avec moi l’an dernier en Algérie, mais à cause des rafles je ne dormais plus. J’ai préféré les envoyer au Maroc et je crois que je n’ai pas eu tort. J’ai payé 570 euros et j’ai dû négocier avec un guide pour qu’il avance au rythme des enfants. Il y a beaucoup de marche et il faut contourner la route dans les montagnes. »

Yvette a appris que ses filles avaient été prises en charge à Rabat par l’ONG catholique Caritas et le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). En Algérie, elle a bon espoir que ses deux fils de 29 et 24 ans s’en sortent. « Le premier travaille dans la maçonnerie. J’aimerais qu’il obtienne sa carte de résident », confie-t-elle.

Pour se déplacer à Agadez, Yvette utilise le moyen de transport le moins cher : le « tchouk-tchouk ». Un trajet lui revient à 300 francs CFA. / BACHIR POUR LE MONDE

La police refuse de l’hospitaliser

A Alger, Yvette tenait un petit commerce de beignets, le samedi, près d’un stade, « là où les Blacks viennent jouer au foot ». Comme beaucoup d’autres migrants dans sa situation, elle a vécu dans des lieux de passage plus ou moins précaires, déménageant au gré des expulsions ou des desiderata des bailleurs. « Quand les maisons se gâtent, le propriétaire nous demande de partir, ou parfois il fait du chantage pour augmenter le loyer. »

Yvette a vécu dans six quartiers différents d’Alger. Un temps, elle a aussi habité à Annaba, une ville côtière près de la frontière tunisienne. Dernièrement, elle louait une maison avec deux chambres dans la capitale, pour 45 000 dinars par mois (environ 330 euros). Elle y hébergeait parfois des « frères » de passage et dans le besoin. Elle ne sait pas ce que va devenir l’endroit en son absence, ni toutes les affaires qu’elle a dû y abandonner.

« On nous a abandonnés dans le désert » : des migrants africains témoignent
Durée : 04:05

Le jour où elle a été arrêtée, Yvette se rendait à la réunion dominicale des Camerounais qui organisent des caisses de solidarité alimentaire : « Notre association siège tous les dimanches pour organiser nos petites cotisations, nos cantines. » Sur la route, avec une autre Camerounaise, elle fait étape dans un marché. En repartant, les deux femmes montent dans un taxi. « C’est là que la police nous a encerclées, relate-t-elle. Ils nous ont emmenées dans un centre social à Dely Ibrahim. » De nombreux migrants arrêtés à Alger témoignent avoir été réunis dans cet établissement qui héberge des personnes à la rue, en attendant d’être expulsés du pays.

« J’ai commencé à me sentir très mal, confie Yvette. Je suis diabétique et ma tension est montée à 18. Le mercredi, l’infirmière a appelé le médecin car ma tension était montée à 22. Mais la police a refusé que je sois hospitalisée, parce que je devais voyager. On m’a mise dans un bus avec des femmes et des enfants nigériens, sans nous dire où nous allions. » La Camerounaise décrit un convoi d’une douzaine de bus escorté par des militaires sur plus de 1 800 km, jusqu’à Tamanrasset, dans l’extrême-sud du pays.

« A cause des rafles, je ne dormais plus », raconte Yvette à propos de sa vie en Algérie. / BACHIR POUR LE MONDE

Un projet de plantation de cacao

Du personnel du Croissant rouge est présent au sein du convoi. A Tamanrasset, Yvette est hospitalisée en état d’hyperglycémie. Cette fois, « le médecin a mis son veto et s’est opposé aux policiers qui voulaient que je reparte ». Yvette repense à cet hôpital que « Dieu semble avoir oublié ». Elle y partageait une chambre avec d’autres refoulés, installés sur des lits de fer sans matelas. Il y avait un « homme devenu fou qui a uriné à même le sol » et un autre « écorché vif » après avoir essayé de s’échapper du convoi en sautant d’un bus en marche.

Lorsqu’elle retourne au centre de Tamanrasset, deux jours plus tard, les quelques affaires qu’elle avait réussi à conserver ont disparu. Pour poursuivre la route vers le Niger, qui s’enfonce dans le désert sur plusieurs centaines de kilomètres, les refoulés sont regroupés dans des camions à bétail. La plupart des non-Nigériens sont ensuite abandonnés à la frontière, en plein Sahara. Mais Yvette, elle, se retrouve intégrée à un convoi de 200 Nigériens et peut ainsi être transportée jusqu’à Agadez. Sur place, l’OIM lui propose de souscrire au retour volontaire. « J’ai dit oui. Vu mon état de santé, je ne voulais pas compliquer les choses. »

Au Cameroun, Yvette a encore une fille de 19 ans. Elle a aussi un projet de plantation de cacao, qu’elle essaye de développer depuis deux ans ; même si elle n’a pas encore renoncé à l’Algérie. « Là-bas, je n’en ai plus que pour un certain temps », assure-t-elle. Elle sait que le voyage en pick-up, à travers le désert, est devenu quatre fois plus cher qu’en 2013, sous l’effet du durcissement de la lutte contre la migration clandestine. Elle connaît aussi les risques d’agression qui menacent les femmes. Mais, dit-elle, « j’aimerais encore faire quelque chose pour mes enfants avant de rentrer ».

Sommaire de notre série « Migrants : terminus Niger »

Notre journaliste Julia Pascual et notre photographe Bachir se sont rendus au Niger, où des dizaines de milliers de migrants subsahariens, pour la plupart expulsés de l’Algérie voisine, transitent en attendant de retenter l’aventure, de rentrer chez eux ou d’obtenir l’asile dans un autre pays.

Episode 1 Au Niger, les refoulés d’Algérie racontent la « chasse à l’homme noir »

Episode 2 « On nous a abandonnés dans le désert » : des migrants africains témoignent

Episode 3 Arlit, première étape des refoulés d’Algérie

Episode 4 Yvette, cinq ans en Algérie et un billet retour pour le Cameroun