Lors de l’acte 9 du mouvement des « gilets jaunes », le 12 janvier. / DENIS CHARLET / AFP

C’est la neuvième fois que les « gilets jaunes » lillois se retrouvent place de la République pour crier leur colère. C’est la neuvième fois et la lassitude n’a pas gagné les rangs des manifestants, samedi 12 janvier. Au contraire, après le millier de personnes réunies la semaine dernière, ils sont aujourd’hui plus de 3 000 venus de toute la région pour réclamer la « démission de Macron », « Benalla en prison » et la libération de Christophe Dettinger, celui que l’on a surnommé le boxeur de gendarmes.

Parmi eux, quelques « stylos rouges » venus dénoncer les conditions de travail des personnels de l’éducation Nationale. La colère des « gilets jaunes » est intacte, mais pour ce premier samedi de soldes, il suffit de pousser la porte des commerces pour constater combien leur combat a fini par lasser une partie de la population.

« Ras-le-cul »

« Excusez-moi d’être vulgaire mais j’en ai ras-le-cul. » Sophie, opticienne, regarde chaque samedi le cortège défiler et, cette semaine encore, elle s’est enfermée dans sa cellule commerciale avec ses deux employées quand les gilets jaunes sont passés devant sa vitrine. « Ils n’emmerdent pas les bonnes personnes. Quand vous voyez que des commerçants vont devoir fermer définitivement ou quand vous voyez ce que les forces de l’ordre se prennent dans la tronche, ça me sidère », déplore-t-elle. Au sein de son enseigne, elle a appris qu’une centaine de boutiques en France sur le petit millier de la marque, avaient dû fermer trois samedis de suite. Au-delà du manque à gagner, Sophie, 44 ans, dénonce le fonctionnement du mouvement des « gilets jaunes » : « Une partie des « gilets jaunes « sont bien contents de profiter du système qu’ils critiquent ». Pour elle, en France, on ne paie pas assez le travail et trop le chômage. « Et je suis désabusée, dépitée car quel que soit le gouvernement que l’on a, rien ne change, tout le monde se gave là-haut. » Au moins un avis qu’elle partage avec les « gilets jaunes ».

Des gilets jaunes qui poursuivent leur route, inverse au parcours officiel, et arrivent Grand Place, au cœur de Lille. Au Furet du Nord, l’une des plus grandes librairies d’Europe, les clients poursuivent leurs achats dans l’indifférence. La célèbre enseigne n’a jusqu’ici pas souffert des manifestations organisées chaque samedi. Par contre, le personnel de la grande roue installée pour les fêtes de fin d’année a été contraint d’évacuer sa clientèle la semaine dernière suite aux tensions avec les forces de l’ordre. La magie de Noël en a pris un coup. « Regardez, elle est magnifique notre Grand-Place, lance Sébastien Chatellain, manager du restaurant La Place. On est là pour accueillir les gens, on ne compte pas nos heures, mais malheureusement les CRS nous ont demandé de replier la terrasse à 13 h 30, à titre préventif. Ras-le-bol des gilets jaunes ».

A 37 ans, il vient de reprendre le poste de manager de ce café. Sa période d’essai coïncide avec les manifestations chaque samedi et le chiffre d’affaires a été impacté. « La semaine dernière, ça sentait le gaz lacrymo même à l’intérieur. Notre activité a chuté de 40 % le samedi, dit-il. Les gilets jaunes ne pensent pas à tout le monde. Je ne suis pas prêt d’aller défiler avec eux, c’est du n’importe quoi, surtout quand on a une cinquantaine de revendications différentes. »

« Il faut se remonter les manches »

Un peu plus loin, des touristes belges assistent, étonnés, au passage du cortège jaune fluo. « Ils ne sont plus trop crédibles, estime Fred Coppens, venu de Mouscron. Le débat ne tient pas la route et ce n’est pas parce qu’on est mécontent du président qu’il faut dire “Macron démission” ». Ce voisin belge est un ancien commerçant aujourd’hui reconverti dans l’immobilier. Il se souvient de ses parents travaillant dur, de 4 heures à 20 heures. « Il faut se remonter les manches et que les gens arrêtent de vivre au-dessus de leurs moyens. Avant, les gens ne partaient pas aussi souvent en vacances par exemple. Nous, en Belgique, on travaille 36 heures en trois jours », dit-il au moment où de gros pétards éclatent.

Des badauds vont se réfugier dans les commerces. Les vendeuses de Nocibé hésitent à baisser le rideau. « On n’a pas beaucoup de monde pour un premier jour de soldes », constate la responsable, Marjorie. La faute aux gilets jaunes ? « Pas de commentaires. » Au sein de son équipe, certaines filles ont défilé un gilet fluo sur le dos quand d’autres dénonçaient le mouvement. « Alors moi, tout ce que je dis, c’est que je n’accepte pas la violence », explique Marjorie.

A Lille le 12 janvier. / DENIS CHARLET / AFP

Place de la Vieille Bourse, dans une boutique de luxe du centre-ville, il n’y a pas que la violence qui agace. « Je plains tous ces gens qui doivent vivre avec moins de 1 500 euros par mois, confie Coralie Debonne, mais dans un cortège, on doit être propre, on ne boit pas et surtout, on ne se couvre pas le visage. Regardez ces gens masqués. » La vendeuse en appelle à plus de respect. « On ne souille pas les bâtiments, et que l’on aime ou pas le président de la République, on le respecte. Je n’ai pas voté pour lui, je peux comprendre en partie la colère mais restez respectueux ! Et depuis quand les flics sont là pour se faire taper dessus ? ! »

A la fin de la manifestation, une partie des gilets jaunes a continué à défiler dans les rues sans parcours défini, au milieu de la circulation chargée. Rapidement, les projectiles ont volé contre les forces de l’ordre qui ont répliqué. Vers 17 heures, le gaz lacrymo a doucement envahi la Grand-place qui n’avait définitivement pas l’air de célébrer son premier week-end de soldes.

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