Des camions lors d’un test de décongestion du trafic dans l’hypothèse d’un Brexit sans accord avec l’UE, dans le Kent, le 7 janvier. / TOBY MELVILLE / REUTERS

Dans ses négociations avec Bruxelles – et avec les députés britanniques –, Theresa May brandit régulièrement la menace d’un Brexit sans accord, qui sortirait brutalement le Royaume-Uni de l’Union européenne le 29 mars. Pour paraître crédible, la première ministre accélère depuis quelques mois les préparatifs allant dans le sens de ce scénario catastrophe. Mais ceux-ci, dans la précipitation et l’amateurisme, frôlent parfois le ridicule.

Il en va ainsi des trois contrats que le gouvernement a passés auprès de compagnies de ferrys. Pour désengorger le port de Douvres, qui pourrait connaître des dizaines de kilomètres d’embouteillages si les nouveaux contrôles à la douane s’avéraient trop longs, l’exécutif britannique a réservé de la place sur des bateaux qui pourraient aller décharger dans d’autres ports (Felixstowe, Plymouth, Portsmouth…). Ces contrats d’urgence, pour 115 millions d’euros, ne couvrent que 8 % du trafic quotidien entre Calais et Douvres mais permettraient de faire passer les marchandises urgentes – par exemple des médicaments ou des produits frais – si cela s’avérait nécessaire.

Mais l’un de ces contrats a été passé auprès d’une entreprise qui ne possède pas de ferry. Seaborne Freight, enregistrée dans un quartier populaire de l’est de Londres, n’a jamais transporté quoi que ce soit, puisqu’il s’agit d’une nouvelle société en cours de lancement. A son conseil d’administration siègent trois personnes, qui ont par le passé dirigé des entreprises qui ont fait faillite, laissant des dettes fiscales substantielles.

« Trop peu, trop tard »

La gaffe a tourné à l’absurde quand le gouvernement britannique a été obligé de reconnaître que Seaborne Freight ne serait de toute façon pas prête pour le 29 mars. L’entreprise n’a pas fini de négocier ses accords avec les ports de Ramsgate, dans le Kent, et d’Ostende, en Belgique. « Voilà une entreprise qui n’a pas d’argent, pas de bateau, pas d’historique, pas d’employé, pas de port, une ligne téléphonique, pas de site Internet et pas d’horaires de ses traversées », s’agace Andy McDonald, chargé du transport dans le « gouvernement fantôme » du Parti travailliste.

Il ne s’agit pas de la seule bévue. En cas de longs embouteillages près de Douvres, le gouvernement britannique veut emmener les camions sur le petit aéroport de Manston, à quelques dizaines de kilomètres de là, une solution préférable à voir des milliers de poids lourds bloquer les routes. Lundi 7 janvier, une grande répétition générale a été organisée, mais seuls 89 camions sont venus, alors que le gouvernement en attendait 150. « Un tel exercice ne peut refléter la réalité de quatre mille camions rassemblés à Manston, s’agace Richard Burnett, de l’Association britannique du transport routier. C’est trop peu, trop tard. »

Au-delà de ces préparatifs chaotiques, il reste de toute façon très difficile de savoir à quoi ressemblerait un Brexit sans accord. De jour au lendemain, il faudrait imposer des droits de douane et des formalités à la frontière.

« Il n’y aura pas de queue »

Mais qui vérifierait cela ? Les autorités britanniques affirment qu’elles seront clémentes et laisseront le trafic passer au Royaume-Uni sans paperasse supplémentaire. Et dans l’autre sens, vers la France ? Le port de Calais affirme aussi qu’il est prêt à recevoir les arrivées d’Angleterre, s’étant préparé au scénario du pire. « Nous nous organisons depuis un an, explique à la BBC Jean-Marc Puissesseau, son président. Il n’y aura pas de queue, nous ne ferons pas de contrôles supplémentaires, à part pour les douanes et les vérifications phytosanitaires. » Et pour ces derniers, au cas où des camions n’auraient pas leurs papiers en ordre, un nouveau parking est en cours de construction pour désengorger le trafic.

Alors, pourquoi la panique ? Chris Heaton-Harris, secrétaire d’Etat chargé des préparatifs pour un non-accord, dit craindre que Bruxelles impose aux douanes françaises de faire du zèle : « J’aimerais penser que le trafic sera fluide, mais la Commission européenne peut demander des vérifications supplémentaires à la frontière. »

Difficile dans ces conditions de s’organiser. D’autant que cela coûte cher. Le gouvernement britannique a déjà prévu 6 milliards de livres sterling (6,7 milliards d’euros) pour les préparatifs, alors qu’en principe tout est fait pour éviter ce scénario.