A la fois point de départ des revendications des « gilets jaunes » à l’automne, avec le rejet des taxes carbone, et carburant de leur colère exprimée semaine après semaine, les questions de fiscalité tiendront comme prévu une place de choix dans le grand débat qui devait s’ouvrir, mardi 15 janvier. Dans la lettre adressée dimanche aux Français, c’est le premier des quatre sujets que détaille Emmanuel Macron : « Nos impôts, nos dépenses et l’action publique. »

Confronté aux demandes répétées de justice fiscale et sociale, l’exécutif ne pouvait faire l’économie des grandes questions qui déterminent le consentement à l’impôt, ou son absence. « Comment pourrait-on rendre notre fiscalité plus juste et plus efficace ? Quels impôts faut-il à vos yeux baisser en priorité ? » interroge le chef de l’Etat, non sans avoir esquissé un exercice de pédagogie sur ce sujet hautement inflammable :

« Chez nous, un grand nombre de citoyens paie un impôt sur le revenu, parfois lourd, qui réduit les inégalités. (…) L’impôt est au cœur de notre solidarité nationale. C’est lui qui finance nos services publics. Mais l’impôt, lorsqu’il est trop élevé, prive notre économie de ressources [et] les travailleurs du fruit de leurs efforts. »

« Les conclusions doivent être celles des Français »

Emmanuel Macron ferme cependant d’emblée la porte à toute modification des réformes déjà mises en œuvre. « Nous ne reviendrons pas sur les mesures que nous avons prises (…) afin d’encourager l’investissement et faire que le travail paie davantage. Elles viennent d’être votées et commencent à peine à livrer leurs effets. Le Parlement les évaluera de manière transparente et avec le recul indispensable », précise le président. Il écarte ainsi tout retour de l’impôt sur la fortune (ISF) dans l’immédiat, malgré la polémique resurgie depuis deux mois sur cet impôt supprimé le 1er janvier 2018 et remplacé par un impôt sur la fortune immobilière.

« On ne convoque pas tous les Français à un débat en leur interdisant de parler par exemple de l’ISF. Les conclusions doivent être celles des Français, pas celles déjà prévues par le président de la République », s’est insurgé dès dimanche soir Olivier Faure, le premier secrétaire du PS, sur Twitter. « Il n’est à aucun moment question de “pouvoir d’achat” dans ce courrier aux Français » et « rien non plus sur l’évasion fiscale », a dénoncé Fabien Roussel, le secrétaire national du PCF, dans un communiqué.

Cette manière de poser le débat n’est guère différente de ce qu’exprime l’exécutif depuis la semaine dernière. Malgré le couac autour de la suppression ou non de la taxe d’habitation pour les 20 % de ménages les plus aisés, l’Elysée comme Bercy l’ont répété à l’envi : oui pour débattre de ce qui n’était pas dans le programme du président, non pour détricoter ce qui a été mis en œuvre. La suppression de la taxe d’habitation pour 80 % des ménages ou encore la « flat tax » sur les revenus du capital n’ont donc pas vocation à être revues.

Dès lors, la question d’une fiscalité plus juste et plus efficace et celle des baisses d’impôts ne risquent-elles pas de s’apparenter à une ouverture de la boîte de Pandore plutôt qu’à un débat à même de faire apparaître des compromis constructifs ? « Il faut arriver à cadrer le débat sans empêcher les sujets d’émerger », estimait-on en fin de semaine dernière à Bercy. « On n’a pas touché à tout en dix-huit mois. Beaucoup de choses sont ouvertes. Si quelque chose nous apparaît rationnel économiquement, souhaité par les Français et non contraire aux engagements de campagne du président, il ne semblerait pas aberrant de le mettre dans le sac à dos. » Et d’ajouter : « Il faut aussi pouvoir expliquer que si l’on veut moins d’impôts, il faut moins de dépense publique. Il n’y a pas de finance magique ! »

Voie potentiellement explosive

C’est précisément le sens de la lettre de M. Macron. « Nous ne pouvons (…) poursuivre les baisses d’impôt sans baisser le niveau global de notre dépense publique », souligne-t-il, avant d’interroger : « Quelles sont les économies qui vous semblent prioritaires à faire ? Faut-il supprimer certains services publics qui seraient dépassés ou trop chers par rapport à leur utilité ? A l’inverse, voyez-vous des besoins nouveaux de services publics et comment les financer ? »

Le chef de l’Etat remet ainsi au centre des réflexions un sujet laissé en jachère depuis le début du quinquennat. Le candidat Macron avait évoqué la suppression de 120 000 postes de fonctionnaires en cinq ans, mais le rapport « Action publique 2022 », censé mettre en musique la réforme de l’Etat, avait été enterré à l’été 2018, même si l’exécutif n’a jamais renoncé formellement à atteindre cet objectif. La voie est à la fois étroite et potentiellement explosive, alors que le maintien des services publics et la critique du train de vie de l’Etat figurent parmi les doléances répétées sur les ronds-points et dans les mairies.

« La feuille de route de la réforme de l’Etat devra tenir compte des attentes exprimées et des conclusions qui seront tirées du grand débat », assure une source proche de l’exécutif. « C’est bien que le président rappelle [la nécessité de baisser la dépense], même s’il aurait dû le faire depuis dix-huit mois, lorsque la croissance le permettait encore », estime Eric Woerth, le président (LR) de la commission des finances de l’Assemblée nationale. Mais il déplore : « Macron dit vouloir transformer la colère en solutions, alors qu’il a lui-même transformé la croissance en colère. »