Comment une femme de 55 ans, amenée par les pompiers aux urgences de l’hôpital Lariboisière, à Paris, pour des céphalées, dans la nuit du 17 au 18 décembre 2018, a-t-elle pu échapper à la vigilance des soignants et être retrouvée morte dans la zone d’attente de ce service près de douze heures après son admission, sans avoir été examinée par un médecin ?

Pour expliquer cette défaillance dans la prise en charge, « il n’y a pas de faute individuelle d’un soignant, mais une série de dysfonctionnements qui n’ont pas permis d’arrêter le processus menant au drame », assure au Monde le professeur Dominique Pateron, le président de la collégiale des urgences de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), à l’issue de sa mission d’enquête. Demandé par la direction du groupe hospitalier et l’agence régionale de santé d’Ile-de-France, ce rapport, publié lundi 14 janvier, ne s’attache pas aux causes du décès – inconnues à ce jour – mais aux « processus » et aux « organisations » des urgences de Lariboisière.

Le 17 décembre, la patiente est amenée par la brigade des sapeurs-pompiers à 18 h 17, enregistrée à l’accueil des urgences à 18 h 40, puis placée sur un brancard dans la salle d’attente du circuit dit « court », où transitent la majorité des personnes en attente de soins. Une infirmière la voit à 19 heures puis à 21 heures. Mais lorsque vers minuit une aide-soignante l’appelle à quatre reprises – dont une fois devant l’entrée des urgences – pour qu’elle puisse être enfin examinée par un médecin, plus de cinq heures après son admission, elle ne répond pas.

« Surveillance pas conforme »

A 23 h 55, elle est marquée comme « ne répondant pas à l’appel » et à 1 h 18, elle est déclarée « en fugue », c’est-à-dire rayée des listes. Et ce n’est qu’à 6 heures du matin qu’une aide-soignante, la découvrant inanimée sur son brancard, alerte ses collègues et effectue le transfert dans la salle des urgences vitales. Le décès est constaté après dix minutes de manœuvres de réanimation.

« La surveillance de la patiente n’a pas été conforme aux procédures internes », estime le rapport. La patiente aurait par exemple du être vue au moins deux fois entre 21 heures et 1 h 18, l’heure où elle est déclarée « en fuite ». Et avant de la rayer des listes, il aurait fallu vérifier systématiquement tous les bracelets des patients présents dans les zones de surveillance, comme le prévoit le protocole mis en place après le décès en février 2014 dans des conditions similaires d’une femme de 61 ans aux urgences de l’hôpital Cochin, à Paris.

« Vu les conditions extrêmement difficiles ce soir-là, ce n’était pas réalisable », reconnaît le professeur Pateron. Au moment où la patiente est appelée, vers minuit, une quarantaine de patients se trouvent dans la zone d’attente du circuit court, dont une dizaine sur des brancards. Au cours de la journée du 17 décembre, « l’activité était très soutenue » dans le plus gros service d’urgence de l’AP-HP, avec 249 passages enregistrés, contre 230 en moyenne.

Phénomène d’« entonnoir »

« Les dysfonctionnements s’expliquent notamment par la forte fréquentation, les capacités du service à fonctionner correctement étaient dépassées ce soir-là », estime Dominique Pateron. La présence du personnel paramédical était pourtant « conforme au planning prévisionnel » du service et les règles générales d’organisation concernant le tri et le fonctionnement des zones d’examen du service ont été « respectées », est-il noté dans le rapport.

Des problèmes plus structurels sont mis en avant. Le « ratio des effectifs médicaux au regard de l’activité » aux urgences de Lariboisière est par exemple inférieur à celui des autres urgences de l’AP-HP : avec 23,5 médecins là où il en faudrait 28 pour atteindre la moyenne du groupe.

Il existerait par ailleurs un « problème global d’insuffisance de surface » et de nombre de box d’examen. Ce qui aboutit, selon la mission d’enquête, « la plupart des soirées à un phénomène “d’entonnoir” » et à « un nombre important de patients en attente d’examen médical ». Résultat : cette zone, qui se retrouve, par la situation géographique de l’hôpital, à accueillir « de nombreuses personnes précaires en détresse avec ou sans pathologie », est « souvent saturée et insuffisamment surveillée ».

La direction de l’AP-HP a annoncé lundi une batterie de mesures destinées à améliorer l’organisation des urgences de Lariboisière. Des renforts de personnels médicaux et paramédicaux sont programmés, un aide-soignant étant déjà affecté depuis le 2 janvier à la surveillance des patients de la salle d’attente du circuit court. Tous les personnels soignants et médicaux seront par ailleurs « formés ou reformés » dans les deux prochains mois aux procédures d’identito-vigilance.