C’est une phrase jusque-là passée inaperçue, mais aux fortes conséquences politiques. Dans sa « lettre aux Français », publiée dimanche 13 janvier, Emmanuel Macron pose la question : « Quel rôle nos assemblées, dont le Sénat et le Conseil économique, social et environnemental, doivent-ils jouer pour représenter nos territoires et la société civile ? Faut-il les transformer et comment ? » Entre les lignes, la question est posée : quel est l’avenir du Sénat ? Sa suppression est l’un des sujets qui revient régulièrement dans le discours des « gilets jaunes », mais aussi dans les cahiers de doléances ouverts depuis plus d’un mois dans de nombreuses mairies.

Au Palais du Luxembourg, le courrier présidentiel passe très mal, plusieurs élus accusant entre les lignes le chef de l’Etat de vouloir affaiblir le Sénat, qui s’est opposé à sa politique à plusieurs reprises depuis le début du quinquennat. « C’est une provocation », s’indigne Patrick Kanner, président du groupe socialiste. « On remet en cause le bicamérisme, qui est l’un des fondamentaux de la Ve République et de la démocratie ! Attention danger ! », ajoute-t-il. « Le Sénat est devenu un contre-pouvoir et c’est le seul aujourd’hui. Or, une démocratie ne se définit pas uniquement pas le suffrage universel, mais aussi par ses contre-pouvoirs », abonde Bruno Retailleau, patron de la majorité LR au Sénat.

Les seuls à être « jetés en pâture »

Selon ce dernier, Gérard Larcher, président de l’institution, n’était pas au courant de la velléité de l’exécutif d’ouvrir aussi clairement le débat sur cette question. Il a eu l’occasion, lundi, d’aborder directement le sujet avec le président de la République puisque les deux hommes ont déjeuné ensemble, avec Edouard Philippe, Richard Ferrand, président de l’Assemblée nationale, et aussi le président du CESE, Patrick Bernasconi.

Sur Public Sénat, Marc Fesneau, ministre chargé des relations avec le Parlement, a tenté dès lundi matin de déminer le sujet. « Vous connaissez mon attachement au Sénat », a rappelé celui qui y fut longuement assistant parlementaire, insistant sur le rôle « important et éminent » du Sénat. « C’est la 2e chambre, elle a un rôle d’équilibre dans les institutions, a ajouté le ministre MoDem. Je pense qu’il a un rôle particulier pour porter la voix des territoires, de l’aménagement du territoire, il faudra regarder quelles peuvent être les voies pour renforcer cette place éminente. »

Reste que les sénateurs vivent mal le fait d’être les seuls « jetés en pâture », selon les mots de Bruno Retailleau, par le chef de l’Etat. « Il y a une tentation de profiter de ce débat pour faire avancer des idées qui lui sont chères », s’inquiète le sénateur de Vendée. « Tous les sujets sont traités, sauf un seul : la place du président et le cap qui est le sien. Tout est examinable à condition que chacun prenne sa part », rappelle Patrick Kanner, qui y voit « en filigrane, la volonté de fusionner le CESE et le Sénat ». « La “lettre aux Français” pose la question du Sénat et du CESE, mais pas de question sur l’Assemblée nationale ni sur l’Elysée », a également réagi, sur Twitter, la sénatrice UDI Nathalie Goulet. « Toute l’architecture des pouvoirs doit être repensée, et l’équilibre des pouvoirs mieux assuré revenir au septennat par exemple ! », ajoute-t-elle.

Même sentiment du côté de Philippe Bas, sénateur Les Républicains et président de la commission des lois.

« C’est le rôle de tout le Parlement, y compris l’Assemblée nationale, qui est en question : le Parlement n’est pas assez puissant, les contre-pouvoirs pas assez forts, le contrôle sur le gouvernement insuffisant », écrit sur le réseau social celui qui préside la commission d’enquête sur l’affaire Benalla au Sénat – qui reprend ses auditions cette semaine. « Il y a une volonté d’Emmanuel Macron d’utiliser le débat pour régler un certain nombre de comptes ! », accuse Bruno Retailleau.