Sa maison-hôtel du centre-ville de Kinshasa, transformée en siège de campagne, est devenue le quartier général de la riposte à ce qu’il qualifie de « hold-up électoral ». Avec ses équipes, l’opposant Martin Fayulu tente d’organiser sa riposte, persuadé de sa victoire à l’élection présidentielle en République démocratique du Congo (RDC) du 30 décembre 2018.

A la tête d’un petit parti d’opposition, cet ancien cadre d’ExxonMobil n’a néanmoins pas suscité pour l’instant de mouvement de contestation populaire. Il peste contre la Commission électorale (CENI) qui a « inventé des chiffres », proclamant la victoire de son rival de l’opposition, Félix Tshisekedi, avec 38,57 % des voix contre 34,8 % pour lui. « Tshisekedi n’est qu’un paravent de Joseph Kabila qui crée des tensions dangereuses dans le pays », dit-il, fustigeant l’alliance de circonstance nouée à la dernière minute entre le président sortant, dont le dauphin est arrivé troisième, et celui que la CENI a désigné comme le nouvel élu.

Un pacte surprenant, qui a fragilisé la coalition Lamuka (« réveillez-vous ») de M. Fayulu tout en préservant les apparences d’une alternance pacifique, la première de l’histoire du pays. Avec deux ans de retard, Joseph Kabila feint ainsi de quitter le pouvoir à l’issue d’élections.

Les Congolais ont donc pu voter. Ils n’ont pas pu, en revanche, s’assurer que leurs votes ont été respectés. Selon une fuite de données d’abord révélée par le journal sud-africain Daily Maverick, puis par le Financial Times, RFI et TV5 Monde, le véritable vainqueur dans les urnes serait bien Martin Fayulu, avec un score de près de 59 % contre moins de 20 % pour Félix Tshisekedi. Ces documents émaneraient d’un serveur de la CENI et reposent sur près de 86 % des votes.

Des résultats qui coincident à peu près avec les échantillons les plus fiables de la Conférence épiscopale (Cenco), qui avait déployé 40 000 observateurs sur le territoire. Selon un document interne, les résultats de l’Eglise catholique congolaise concluent aussi à l’élection de M. Fayulu, avec au moins 57 % des votes.

Du coup, ce dernier s’est résigné à déposer un recours à la Cour constitutionnelle, réclamant un « recomptage des voix » et l’annulation des résultats publiés par la CENI, au risque de provoquer une invalidation de l’élection, ce qui maintiendrait au pouvoir Joseph Kabila. M. Fayulu attend, sans trop y croire toutefois, tant les institutions ont été remaniées sur mesure par le président sortant.

Ces résultats parallèles, contestés par la CENI et par le camp de M. Tshisekedi, n’ont finalement eu que peu d’écho en RDC. Pour le moment, le simple fait de ne plus voir M. Kabila à la tête de l’Etat suffit à contenir les desseins redoutés de révolte populaire et à accélérer une reconfiguration de la scène politique.

Marge de manœuvre étroite

Dans un système reposant sur des institutions fragilisées et manipulées par le pouvoir, l’élection est un moment particulier que la fraude, même révélée au grand jour, peine à gâcher. Une partie de la classe politique, vénale et versatile en profite pour renégocier des alliances.

« M. Fayulu conteste pour faire monter sa cote et ne pas finir seul, abandonné par ses équipes. Certains de ses proches nous ont déjà approchés et vont basculer dans notre camp, assure un proche conseiller de Vital Kamerhe, l’ancien président de l’Assemblée nationale (2006-2009) qui a fait campagne avec M. Tshisekedi. On se prépare à gouverner, ce que Joseph Kabila semble disposé à nous laisser faire. »

Un poster de Joseph Kabila, le président sortant, au mausolée de son défunt père et prédécesseur, Laurent-Désiré, le 16 janvier. / JOHN WESSELS / AFP

Cette victoire n’en est pourtant pas une pour Félix Tshisekedi, qui pourrait perdre sa base, son parti, l’UDPS, hérité de son défunt père, Etienne (1932-2017), figure historique de l’opposition, s’il échoue à établir un semblant de rapport de force avec M. Kabila.

Sa marge de manœuvre est étroite tant la majorité présidentielle a obtenu une victoire écrasante aux législatives et, très probablement, aux provinciales. En outre, le président sortant va continuer d’exercer sa mainmise sur le système sécuritaire, de même que sur un large pan du secteur minier si rentable pour son clan et si crucial pour l’économie mondiale.

Ladite communauté internationale se retrouve aujourd’hui dans l’embarras. Les diplomates sont face à un dilemme : exiger la vérité des urnes au risque de replonger le pays dans les violences, ou se contenter du faux départ de Joseph Kabila et valider cette alternance trafiquée mais apaisée.

« A partir du moment où les Congolais eux-mêmes ne contestent pas avec vigueur, il est difficile d’imaginer la communauté internationale le faire, constate Thierry Vircoulon, chercheur à l’Institut français des relations internationales. Le Conseil de sécurité de l’ONU se trouve dans l’incapacité de prendre des décisions claires. D’autres puissances ont émergé. C’est le résultat du changement des équilibres mondiaux. Le régime Kabila le sait et en joue. »

Pour le moment, l’Afrique discute

L’issue à cette situation post-électorale risque d’être déterminante pour le continent africain et pourrait influencer la gestion des prochaines crises par les pouvoirs en place. Peut-être plus que n’importe où ailleurs en Afrique, les stratèges de M. Kabila maîtrisent les rouages du système politique international. Eux qui ont évolué avec l’ONU, qui déploie sa mission la plus ancienne et la plus onéreuse en RDC, ont su séduire puis manipuler avant de rejeter des acteurs qui, comme l’Union européenne, sont désormais jugés trop regardants sur les affaires intérieures.

Seules les organisations régionales ont été associées au processus électoral. Et face à la suspicion de résultats truqués, certains voisins s’agacent en coulisses des manœuvres de Joseph Kabila, comme l’Angola de Joao Lourenço.

Mais l’Union africaine (UA) continue de ne se fier qu’à la CENI. La Communauté de développement d’Afrique australe (SADC), tout comme l’organisation régionale des Grands Lacs, a osé réclamer un recompte des voix. Avant de faire volte-face. L’Afrique du Sud, très impliquée dans la stabilisation de la RDC, a déclaré, le 14 janvier, ne pas vouloir s’immiscer dans ce « processus interne en réclamant un recomptage ».

Martin Fayulu et ses alliés se retrouvent lâchés par des pays qu’ils pensaient acquis à leur cause. « Pourquoi l’Afrique du Sud, qui nous a accueillis et aidés, ne soutient pas le peuple congolais et privilégie Joseph Kabila ? », s’interroge le candidat malheureux. Pour le moment, l’Afrique discute. A la demande de Luanda et de Pretoria, la SADC se réunit d’urgence, jeudi 17 janvier, pour évoquer la situation post-électorale, avant une rencontre des chefs d’Etat convoquée, dans la foulée, par l’UA.