C’est une visite insolite que propose à Marseille le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MuCEM), pour laquelle il faut réserver et justifier de son identité : au Centre de conservation et de ressources, un « appartement témoin » de 800 m² présente un échantillon tournant des fonds conservés par le musée, des pièces de toutes époques, provenances et dimensions. De quoi attiser la curiosité des visiteurs.

Ouvrir les réserves n’est pas une idée du MuCEM : elle remonte à la création du Musée des arts et traditions populaires à Paris, dont l’établissement marseillais conserve désormais les collections. Georges Henri Rivière (1897-1985), son fondateur – auquel le MuCEM consacre actuellement une exposition –, avait ainsi imaginé, dès 1937, de montrer la galerie d’études au grand public.

Lire la critique de l’exposition consacrée à Georges Henri Rivière : L’homme derrière le musée moderne

Les artistes s’emparent aussi des réserves. Le plasticien Alexandre Périgot s’est fait une spécialité d’en exhumer des œuvres. Son projet intitulé « Mon nom est personne » consiste à exposer des artistes anonymes dont les créations sont prélevées dans les réserves des musées où il intervient, par exemple le Musée d’arts de Nantes, le MuCEM, et jusqu’au 3 février, au Musée des beaux-arts de Rennes.

Une expérience d’apprentissage stimulante

Aux Etats-Unis, l’exploitation des réserves est une habitude ancienne. Un programme du Metropolitan Museum of Art, créé en 1988, favorise l’ouverture de « visible storage », sous forme de vitrines, principalement dans le but de proposer au public une expérience d’apprentissage stimulante, hors des sentiers battus. Un moyen également de valoriser l’ensemble des collections sans nuire au confort de visite ni aux impératifs de conservation. Au « visible storage » du Brooklyn Museum, plus de 2 000 objets sont ainsi présentés, contre 400 exposés au même étage du musée, au Luce Center for American Art.

En France, le Musée du quai Branly-Jacques Chirac à Paris a longtemps été l’exemple des réserves visibles avec sa Tour des instruments, imaginée en 2006 par Jean Nouvel, haute de 27 mètres et qui expose 10 000 instruments de musique. Ces réserves ne se visitent pas mais une application donne des éléments d’information et les parois diffusent les sons des instruments qui y sont conservés.

Depuis 2012, le Louvre-Lens va encore plus loin dans cette logique. Les réserves, visibles depuis le hall, sont visitables par groupes les samedis, dimanches et jours fériés. En cinq ans, 2 759 visiteurs ont ainsi pu bénéficier d’un guide dans l’atelier de restauration et les réserves.

Risques encourus

Les risques encourus par les œuvres justifient la plupart du temps de trouver ou bâtir un lieu pour les protéger. Ainsi, à Rotterdam, les anciennes réserves du Museum Boijmans Van Beuningen (le musée de peinture et des beaux-arts), construites sur des polders, étaient souvent menacées par des inondations. En outre, sur 145 000 œuvres, le musée ne pouvait en exposer que 11 600. Un nouveau dépôt a été mis en chantier en 2016, dont les travaux devraient s’achever en 2019. Il sera accessible au public et permettra de voir 75 000 œuvres. Au-delà de la volonté de sauvegarde et d’ouverture, le directeur du musée envisage un nouveau modèle économique : 10 % des espaces de stockage seront loués à des collectionneurs privés, assurant ainsi une partie du financement et du fonctionnement de ce nouveau Public Art Depot.

2019 est aussi l’année du grand déménagement pour le Louvre. A l’été, la livraison des réserves flambant neuves de Liévin, dont la première pierre a été posée en décembre 2017, est prévue. Le déménagement des œuvres doit suivre au second semestre. Comme à Rotterdam, le musée, situé en bord de Seine, craint les conséquences d’une crue. Sur les 450 000 œuvres que compte le Louvre, seules 38 000 sont exposées dans les salles mais 200 000 relèvent du cabinet des arts graphiques. Département à part entière du Louvre, accessible aux seuls chercheurs, il ne quittera pas Paris.

L’esprit du Centre de conservation du Louvre sera différent de celui du Public Art Depot de Rotterdam. Les 9 600 m² du centre seront entièrement dédiés à la recherche et ne devraient pas être ouverts au public, les réserves du Louvre-Lens étant déjà accessibles aux curieux. Le site de Liévin, distant de 200 km de Paris, est à quelques centaines de mètres du Louvre-Lens.

Réserves mutualisées

Dans les plus petits musées, les réserves sont également un enjeu. La mise aux normes et l’encombrement imposent souvent la construction de nouveaux lieux de stockage, hors les murs et à l’écart des centres-ville, comme c’est le cas à Reims, dont le musée devrait ainsi doubler ses surfaces d’exposition à horizon 2023.

Parfois, les réserves sont mutualisées entre plusieurs musées, à l’instar de la Réserve muséographique départementale de Quimper, ouverte en 2013, et qui regroupe les réserves des trois musées départementaux du Finistère.

Ces problèmes logistiques peuvent expliquer que la mission « Culture près de chez vous », lancée par le ministère en mars 2018, ait privilégié, pour faire circuler les œuvres, une politique temporaire de prêt à une vague de dépôts (dont la durée est de cinq ans renouvelables) des musées parisiens vers les musées régionaux. Le Catalogue des désirs, nom donné à la liste des œuvres destinées à voyager, concerne des créations phares, qui sont pour la plupart déjà accrochées… Car les réserves ne contiennent pas que des chefs-d’œuvre.

Google Arts & Culture s'associe avec le MUCEM pour une visite interactive - Google France
Durée : 01:51

Xavier Bourgine

Sur le Web : www.mucem.org/collections/explorez-les-collections/le-ccr