Dans les couloirs de l’organisation, des posters avaient été affichés il y a environ 18 mois, bien en évidence, sur lesquels était rappelé le code de conduite des Nations unies, sa tolérance zéro vis-à-vis du harcèlement sexuel et les mesures à prendre pour dénoncer une agression. C’était juste avant le mouvement #metoo et l’affaire Weinstein qui allait emporter le milieu du cinéma et des médias aux Etats-Unis.

Etonnamment, l’ONU – qui avait déjà eu à répondre de graves accusations de viols de ses casques bleus dans le cadre de ses opérations de maintien de la paix – était passée à travers cette indignation d’ampleur mondiale. Aux Nations unies, la hiérarchie avait pourtant bien pris la mesure d’un scandale qui pouvait toucher l’organisation, multiculturelle par essence, déployée sur des terrains difficiles et propices à la promiscuité. Une hotline avait été lancée en urgence il y a un an et une enquête indépendante confiée au mois de novembre 2018 au cabinet de conseil Deloitte.

Première enquête du genre

Les résultats ont été annoncés, mercredi 16 janvier, au siège à New York. Ils sont « sans surprise » estime un haut responsable qui avait eu vent « d’un certain nombre d’incidents ». Un tiers des personnes interrogées indique avoir fait l’objet d’une forme de harcèlement sexuel au cours des deux dernières années. Dans la majorité des cas (21,7 %), il s’agit de blagues à connotation sexuelle, remarques désobligeantes ou grivoises. Dans les cas les plus graves, il s’agit d’attouchements (10 % des cas) ou d’agression sexuelle et tentative de viol (1,3 %). Les victimes sont majoritairement des femmes entre 35 et 44 ans qui ont subi le harcèlement pour plus de 50 % sur leur lieu de travail soit de la part d’un collègue (un cas sur deux) soit de la part d’un supérieur hiérarchique (un cas sur quatre).

Un peu plus de 30 000 employés (en interne et collaborateurs extérieurs) à travers le monde ont répondu à cette première enquête du genre au sein de l’organisation. Cela représente un taux de réponse de 17 %, relativement bas, mais suffisant selon le responsable pour tirer des conclusions évidentes : l’ONU a beau être une organisation qui se veut à l’avant-garde des luttes en matière d’égalité, de dignité et des droits de l’homme, elle est loin d’être immunisée contre le harcèlement sexuel.

« Le sommet de l’iceberg »

Dans une lettre qui accompagne la publication de ce rapport, le secrétaire général Antonio Guterres, qui avait fait de la parité et de la tolérance zéro son cheval de bataille, estime que ces chiffres « donnent à réfléchir » même s’ils sont « comparables » aux données obtenues auprès d’autres organisations. Ils expriment selon lui deux choses : « le long chemin qui reste à parcourir avant de pouvoir évoquer ouvertement le harcèlement sexuel (…) et le sentiment permanent de méfiance, une perception d’inaction et d’absence de poursuite ».

Depuis un an, les crises couvaient. Que ce soit à Genève où le patron de l’Onusida, le Malien Michel Sidibé, est accusé d’avoir étouffé des affaires de harcèlement et toléré une culture d’intimidation et d’abus de pouvoir ou à New York où un officiel en charge de promouvoir l’égalité des genres et la jeunesse au sein de l’entité ONU femme est accusé d’avoir eu des comportements inappropriés avec au moins huit hommes. Le premier démissionnera au mois de juin prochain à six mois de la fin de son mandat officiel. Le second a été relevé de ses fonctions.

L’organisation a depuis mis en place une base de données qui compile les noms de salariés accusés de harcèlement pour qu’ils ne puissent pas être réemployés par l’organisation. L’ONU doit « favoriser un milieu de travail inclusif, où la responsabilité est constante, où le pouvoir n’est jamais abusé et où il n’y a pas de crainte de représailles » indique M. Guterres. Le harcèlement sexuel n’est que « le sommet de l’iceberg » regrette pour sa part Ian Richards, représentant syndical du personnel. « On évite de discuter d’autres types d’abus de pouvoir et on empêche les poursuites contre les hauts responsables. »