File d’attente à l’aéroport de Chicago, le 11 janvier. / Nam Y. Huh / AP

Soudain, le ton a changé. Le shutdown, qui n’inquiétait pas grand monde en dehors de Washington et des employés fédéraux, devient un sérieux problème. Le premier à s’alarmer vraiment a été le président de JPMorgan, Jamie Dimon. « Si cela dure tout le trimestre, cela pourrait réduire la croissance à zéro, s’est inquiété mardi 15 janvier le patron de la banque américaine. Il faut régler cela, c’est avant tout une question politique. »

La Maison Blanche a estimé que le shutdown coûtait 0,1 point de PIB toutes les deux semaines. Standard & Poor’s a évalué ce chiffre à 3,6 milliards de dollars (3,1 milliards d’euros) il y a une semaine, soit 0,02 % du PIB des Etats-Unis. En réalité, explique Thomas Julien, économiste chez Natixis, « l’impact du shutdown n’est pas linéaire – une semaine n’a quasiment aucun effet, car on rattrape le travail manqué la semaine suivante, tandis qu’au bout d’un mois, c’est toute la machine qui se grippe ».

L’influence de Washington, qui était positive sur l’économie depuis le début de mandat de Donald Trump – baisses d’impôts, dérégulation – devient négative, avec un gouvernement divisé. Le shutdown ne serait qu’un avant-goût de la fin de mandat de Trump et le chaos à Washington pèse sur la confiance des Américains, comme en atteste une enquête de la Reserve Federale publiée mercredi 16 janvier. C’est d’autant plus dommageable qu’après la peur financière de décembre, les derniers chiffres macroéconomiques plaident pour un atterrissage en douceur de l’économie plutôt qu’une récession.

Absentéisme des agents

Un shutdown devient grave lorsqu’on ne peut plus prendre l’avion. C’est encore possible aujourd’hui, mais les files d’attente s’allongent dangereusement dans les aéroports d’Atlanta (Géorgie) ou du Texas, en raison de l’absentéisme des agents chargés de contrôler les passagers (Transportation Security Administration, TSA). Celui-ci a plus que doublé par rapport à l’an dernier, atteignant 7,6 % en début de semaine : les inspecteurs sont en théorie réquisitionnés sans être payés, mais, privés pour la première fois de fiche de paie le 11 janvier, ils cherchent d’autres sources de revenu.

Le patron de la TSA a trouvé le moyen de débloquer une aide de 500 dollars par personne pour éviter une paralysie croissante, alors que les aéroports fonctionnent normalement dans une grande partie du pays, notamment à New York. Un juge fédéral a, par ailleurs, rejeté une action en justice des syndicats de contrôleurs aériens qui exigeaient d’être payés lorsqu’ils sont réquisitionnés.

Actuellement, 380 000 fonctionnaires fédéraux sont priés de rester chez eux, tandis que 420 000 doivent travailler sans être payés – ils ont perdu en moyenne 5 000 dollars par personne en quatre semaines, le salaire annuel médian étant de 77 000 dollars.

« Le gouvernement n’est pas fermé. Simplement, il ne paie pas »

L’administration Trump tente de limiter les effets du shutdown, non pas pour les fonctionnaires, mais pour les usagers américains. La première mesure a concerné le fisc, l’Internal Revenue Service (IRS). La fermeture de cette administration comportait des risques financiers et politiques, notamment pour les Américains qui devaient recevoir début janvier le trop-perçu de l’impôt sur le revenu. L’administration a ordonné que les chèques soient émis. De même, les personnes devant obtenir un prêt hypothécaire avec garantie publique doivent produire un avis d’imposition de l’IRS : ils obtiendront le précieux sésame.

Les bureaux de l’IRS, le fisc américain, le 16 janvier à Seattle. / Elaine Thompson / AP

Ainsi, l’Etat fédéral cherche à débloquer discrètement certains services, les équipes Trump dénichant les fonds nécessaires. Environ 2 500 fonctionnaires du ministère de l’agriculture ont été rappelés pour trois jours, afin d’aider les fermiers dont les cas sont les plus urgents – en revanche, le ministère n’accordera pas de nouveaux prêts et ne versera pas les aides prévues pour compenser les conséquences des guerres commerciales initiées par M. Trump. Les fonctionnaires des affaires étrangères sont invités à reprendre le travail le 22 décembre, Donald Trump ayant signé un décret qui permet de les payer après coup. De ce fait, CNN en arrive à la conclusion suivante : « Le gouvernement n’est pas fermé. Simplement, il ne paie pas les gens. »

Ce fonctionnement apparent est relativement facile à obtenir en remettant en fonctionnement les services Internet des sites fédéraux, principale interface entre l’Etat et les Américains. Pour l’instant, la sécurisation de nombreux sites gouvernementaux n’est pas assurée faute de maintenance, écrit le Washington Post. Surtout, le shutdown a des effets sur les entités qui dépendent de l’Etat fédéral.

Sous-traitants au chômage technique

Les petites villes qui dépendent des travailleurs fédéraux sont au ralenti, comme la ville d’Ogden, dans l’Utah, où le fisc emploie 5 000 salariés. Les sous-traitants de l’Etat sont en chômage technique. C’est le cas des entreprises qui collaborent avec la NASA, la conquête de l’espace étant de plus en plus confiée à des acteurs privés. En revanche, les sous-traitants et fournisseurs du ministère de la défense ne sont pas touchés, le budget militaire américain étant financé. Le shutdown menace aussi la saison des grands travaux de s’engager, en particulier les autoroutes américaines. Les PME n’obtiennent plus les prêts bonifiés de l’Etat fédéral même si les dossiers approuvés avant le 22 décembre 2018, date du shutdown, semblent être traités.

Le shutdown conduit aussi le « gendarme » de la Bourse, la Securities and Exchange Commission, à tourner au ralenti. Elle n’est plus en mesure de donner son feu vert aux introductions en Bourse. Il n’y en aura sans doute aucune en janvier, explique le Wall Street Journal, qui cite trois entreprises de biotechnologies (Gossamer Bio, Alector, Alight Solutions) ayant dû repousser leur projet. Cet effet se cumule avec les turbulences de la Bourse en décembre 2018, qui avaient conduit certaines entreprises à reporter leurs projets à des jours meilleurs. Il leur faut désormais tenir, en espérant ne pas tomber à court de liquidités.