Des employés de la DDE remplacent un panneau de signalisation à l’occasion de l’abaissement de la vitesse à 80 km/h sur les routes secondaires, à Grenade-sur-Garonne (Haute-Garonne), le 28 juin 2018. / PASCAL PAVANI / AFP

Editorial du « Monde ». Nous l’avons écrit ici même il y a un an et n’avons pas changé d’avis : l’abaissement de 90 km/h à 80 km/h de la vitesse maximale autorisée sur les routes secondaires de France et de Navarre est une mesure de bon sens et de salubrité publique.

Elle prolonge et complète toute une panoplie de décisions – ceinture obligatoire pour les automobilistes et casque pour les motards, contrôle d’alcoolémie, permis à points, radars automatiques – qui ont permis en quarante ans de réduire de 16 000 à quelque 3 500 le nombre des tués chaque année sur les routes. Et il est incontestable que la vitesse est l’une des causes principales de cet absurde fléau : au-delà des drames humains qu’il provoque (aux morts s’ajoutent dix fois plus de blessés), le coût financier de l’insécurité routière s’élève à environ 50 milliards d’euros par an.

C’est donc avec la conviction de faire œuvre utile que le premier ministre avait annoncé cette limitation de vitesse en ­janvier 2018 et l’avait mise en application à partir du 1er juillet. Comme toutes les ­mesures antérieures, celle-ci a immédiatement provoqué une levée de boucliers des automobilistes et des motards en colère. Furieux de voir ainsi rallongée la durée de leur trajet de minutes quotidiennes et d’heures mensuelles, ils ont en outre soupçonné le gouvernement de vouloir arrondir le magot (1 milliard d’euros par an) des amendes pour excès de vitesse – et ont vandalisé, pour s’en prémunir, plus de la moitié des radars routiers.

Peut-être une « connerie »

En dépit de mises en garde multiples, Edouard Philippe est resté inflexible. Au ­ministre de l’intérieur de l’époque, Gérard Collomb, qui exprimait ouvertement ses ­réticences, il répliquait, au printemps : « Il faut parfois choisir entre de mauvaises ­décisions qui rendent populaire et de bonnes décisions qui rendent impopulaire. » La ­limitation de vitesse serait, quoi qu’il lui en coûte, le symbole de sa détermination. Dans l’intérêt général.

Aujourd’hui, le ton a singulièrement changé. Celui du président de la République en tout cas. Il y a quelques semaines, en petit comité, Emmanuel Macron admettait que cette limitation de vitesse était peut-être une « connerie ». Mardi 15 janvier, lors de son débat avec les maires de l’Eure, à Grand-Bourgtheroulde, il n’a pas exclu des aménagements afin que la mesure soit « mieux acceptée », tout en restant « efficace ». « Il faut, ensemble, que l’on trouve une manière plus intelligente de la mettre en œuvre », a-t-il affirmé. En clair, adapter la mesure au terrain et à la diversité des configurations routières.

Il est vrai qu’entre-temps, c’est tout le climat national qui a tourné à l’orage. La fronde des automobilistes, encore attisée à l’automne par l’augmentation des taxes sur l’essence, a servi de creuset à la révolte des « gilets jaunes » qui, depuis plus de deux mois, menace de paralyser l’action du gouvernement. Cette affaire des 80 km/h apparaît comme le miroir grossissant de la violente embardée du quinquennat.

Il y a un an, le gouvernement menait avec succès ses réformes pied au plancher, sans s’embarrasser de laborieuses concertations ni se soucier des critiques contre son attitude jugée trop autoritaire, technocratique et parisienne. Depuis qu’il a frôlé l’accident grave, voire mortel, le voilà soudain converti à une conduite beaucoup plus prudente. Ou, selon l’expression présidentielle, plus « intelligente ». Comme quoi les limitations de vitesse sont salutaires pour tout le monde, gouvernement compris.

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