La cabane est plutôt cosy, avec ses murs de planches décorés d’une fresque où des Alsaciennes en costume traditionnel se donnent la main. Installés autour d’une grande table ou dans des canapés, chauffés par un poêle à bois, les « gilets jaunes » de la vallée de la Bruche (Bas-Rhin) sont partis pour durer. Avec leurs collègues de Molsheim, situés à l’entrée de la vallée, ils font partie de ces campements contestataires actifs depuis le début du mouvement. Comme eux, ils ont démonté leur « quartier général » juste avant les fêtes de fin d’année plutôt que d’en être délogés par la force, lorsque Christophe Castaner a demandé que les ronds-points soient libérés.

Des deux côtés de cette vallée vosgienne, des discussions ont été entamées avec les maires. Jean-Michel Weber, maire (LR) de la petite ville de Molsheim (9 300 habitants), a vite accepté d’accueillir les « gilets jaunes » sur un terrain de sa commune. « Cela fait partie de mon rôle de maire d’éviter que les choses s’enveniment », affirme-t-il. D’autant que certaines de leurs revendications paraissent totalement justifiées à ses yeux. « Je comprends que les gens dénoncent le train de vie de l’Etat, alors qu’on demande aux citoyens de se serrer la ceinture. L’exemple doit venir d’en haut ! »

Pacifisme revendiqué

Depuis le 19 décembre, le site de Molsheim est ainsi occupé 24 heures sur 24. « Nous y avons passé Noël et le Nouvel An. Tous les dimanches, un repas commun est organisé. Nous sommes devenus une petite famille », explique Gégé, l’un des responsables du groupe, qui souhaite conserver l’anonymat. « D’ici, on organise toutes les actions. On a toujours fait en sorte qu’il n’y ait pas de casse. »

Un pacifisme revendiqué que Gégé a cependant de plus en plus de mal à tenir, dans un contexte de montée des violences entre forces de l’ordre et protestataires.

« Cela devient vraiment tendu. Moi-même, je suis partisan de laisser une chance au grand débat, estime-t-il. Mais si Macron écoute et qu’à la fin, il n’en fait tout de même qu’à sa tête, la situation risque de vraiment dégénérer. »

Au fond de la vallée de la Bruche, les « gilets jaunes » revendiquent quant à eux un certain ancrage territorial. Avant les fêtes, ils se sont ainsi mobilisés au côté des élus pour le maintien du service des urgences et du service d’oncologie de la clinique locale, menacés de fermeture par l’Autorité régionale de la santé. Un engagement qui a joué en leur faveur puisque Marc Scheer, maire du petit village de Rothau (1 500 habitants) sur lequel était situé leur campement, a finalement accepté de signer un arrêté municipal leur permettant de s’installer en bordure de voirie. « Ils sont tolérés, à condition de ne pas bloquer la circulation, de ne pas être violents, de ne pas allumer de feu à l’air libre ni de brûler des déchets, et de produire une assurance responsabilité civile », détaille M. Scheer. « L’essentiel, c’est qu’il y ait un dialogue. En tant qu’élu, on a une responsabilité, celle de ne pas faire le lit des extrêmes. C’est quelque chose qu’en tant que maire d’une commune située à quelques kilomètres du camp de concentration du Struthof, je ne pourrais accepter. »

« On continue d’aller dans la rue, mais au bout d’un moment, il faut aussi savoir débattre et proposer des solutions », estime quant à lui Gérald Metz, porte-parole des « gilets jaunes » de la vallée de la Bruche. « D’autant que notre action a déjà permis d’obtenir plusieurs mesures en faveur du pouvoir d’achat. » Pour transformer le mouvement et lui donner davantage de légitimité, il a proposé à ses collègues de lutte de se constituer en association. Jeudi 17 janvier, une quarantaine de personnes était ainsi présentes au quartier général de Rothau pour l’écouter – sans compter les internautes suivant la réunion en direct sur les réseaux sociaux, depuis Strasbourg, Nice, Ajaccio ou ailleurs. Au sein du mouvement des « gilets jaunes », la structuration des groupes locaux semble en effet faire débat.

« Organisation plus carrée »

Les statuts du « mouvement des “gilets jaunes” de la vallée de la Bruche » ont été déposés avant les fêtes et l’association autorisée mercredi 16 janvier. Derrière celle-ci, plus de pseudos, mais de véritables identités. « Cela permettra d’envisager une organisation plus carrée », explique Gérald, qui souhaite rester anonyme.

« L’objectif est d’aller chez les commerçants locaux et de faire revivre notre vallée, de se battre contre les fermetures de classes ou de lignes de chemin de fer. Nous projetons aussi de soutenir les maraudes organisées par la Croix-Rouge et d’organiser une aide pour les personnes âgées. Toutes les idées ne sont pas définies, chaque membre pourra soumettre les siennes. »

Une première réunion doit être organisée très rapidement, au cours de laquelle les sept membres fondateurs décideront d’emblée de… démissionner. Objectif : provoquer la tenue d’une assemblée générale extraordinaire et permettre ainsi aux personnes voulant s’engager au sein de l’association de présenter leur candidature, en toute transparence. Malgré cela, l’initiative est regardée avec circonscription par les autres groupes de la région. « C’est trop politisé. Ils visent les européennes. Moi, je me bats contre les politiques, donc aller aux européennes, ça ne m’intéresse pas », estime ainsi Gégé à Molsheim. « Nous, on veut que ça bouge et tout de suite. Mais il faut rester neutre et ne surtout pas faire de politique. »

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