Dans une rue d’Angers, samedi 19 janvier 2019. / Yves Tréca-Durand pour "Le Monde"

Habitués à des manifestations tranquilles, les Angevins appréhendaient cet acte X depuis l’appel au rassemblement lancé en début de semaine par les « gilets jaunes » locaux à leurs cousins des Pays de la Loire, de Bretagne et du Centre. Dès vendredi 18 janvier au soir, les banques avaient calfeutré leurs façades, le préfet pris un arrêté martial et le maire lancé un appel pour inviter ses concitoyens à ne pas fréquenter le centre-ville ce samedi.

De fait, la journée a été nettement plus mouvementée que les précédentes. C’est même la première fois que les forces de l’ordre, rapidement débordées, ont été obligées de faire usage de grenades lacrymogènes et assourdissantes sur la place du Ralliement — la bien nommée, en plein cœur de la ville — qui devait pourtant rester imprenable, selon les ordres donnés par le représentant de l’Etat. Sur les boulevards, le chantier du tramway a lui aussi subi les assauts de cette foule inédite (environ 2 500 manifestants, cinq fois plus que le samedi précédent).

Barrières arrachées pour dresser des barricades, feux tricolores jetés au sol, pavés descellés pour servir de projectiles... avec la tombée de la nuit, les affrontements se sont durcis aux abords de l’Hôtel de ville, lui aussi visé par une cinquantaine de casseurs, sous le regard interdit d’une majorité silencieuse mais bien présente. Protégés par les gendarmes mobiles, les pompiers ont même dû s’employer à éteindre plusieurs incendies allumés par les plus virulents des « gilets jaunes ». Un peu plus loin, la Banque de France — symbole honni — a elle aussi été visée par des dégradations.

« Même moi je serai le premier à lancer des pavés »

Deux heures plus tôt, dans le cortège encore pacifique, le cégétiste Didier Testud prophétisait : « Ça ne va pas s’arrêter comme ça ». La section locale du syndicat appelle depuis le 17 novembre à soutenir les « gilets jaunes », contre l’avis des responsables départementaux et nationaux. « Il faut que ça bouge dans les entreprises maintenant, le mouvement est orphelin de ça. Il faut la grève générale quoi ! ».

Éric, un gilet jaune plutôt modéré confirme : « Si ça n’a pas bougé dans deux mois, là ça va vraiment devenir violent. Même moi je serai le premier à lancer des pavés ». Une petite dame est arrêtée devant le Monoprix, rideau baissé. Elle remarque à peine la cohue autour d’elle. « Je ne peux même pas faire mes courses. Mais comment je vais manger ce soir, moi ? », souffle-t-elle.

C’est l’un des paradoxes de cette journée de lutte. Malgré les appels à la prudence, celui des soldes a été plus fort encore. Les commerces, éreintés par des mois de novembre et décembre catastrophiques, sont restés ouverts dans leur très grande majorité. Et les clients, parfois un peu perdus au milieu des manifestants casqués et munis de masques et de lunettes, ont répondu présent. Comme s’ils ne croyaient pas vraiment que leur ville puisse être le théâtre de débordements comme à Rennes ou Nantes, plus habituées à ces scènes de guérilla urbaine.

A la nuit tombée, pourtant, le calme n’était toujours pas revenu sur la ville.