DAMIEN MEYER / AFP

La salle des Ecuries située à l’arrière de la mairie d’Ecouen (Val-d’Oise) est plus habituellement réservée à des activités d’expression gymnique que d’expression orale. En cette froide matinée du samedi 19 janvier, une quarantaine de personnes, seulement, ont répondu à l’invitation de la maire, Catherine Delplat (PS), de prendre part à cette réunion du « grand débat national ». « On l’a préparée à l’arrache, depuis trois jours, s’excuse-t-elle. Elle a été annoncée sur le site Internet de la mairie, sur notre compte Facebook et sur les panneaux d’affichage de la commune. Mais on n’a pas eu le temps de faire du boîtage. »

La plupart des participants se connaissent : beaucoup de personnes âgées ou d’âge mûr, souvent impliquées dans la vie associative locale, quelques conseillers municipaux et une visite surprise, celle du député de la circonscription, Dominique Da Silva (LRM), élu en juin 2017. En revanche, aucun « gilet jaune » ne s’affiche en tant que tel. Dans cette petite commune de 7 500 habitants, à une trentaine de kilomètres au nord de Paris, le mouvement n’a pas embrayé.

La mairie a bien fait les choses : plusieurs tables de six ont été disposées dans la salle pour que chacun y trouve la « charte du grand débat », la lettre d’Emmanuel Macron aux Français et des exemplaires des fiches thématiques sur les quatre thèmes versés au débat – fiscalité et dépenses publiques, organisation de l’Etat et des services publics, démocratie et citoyenneté, transition écologique – munies chacune de leur questionnaire.

Ainsi que des feuilles blanches et un formulaire mis à disposition de la municipalité pour ceux qui souhaitent émettre des « doléances et propositions à l’attention du préfet et des pouvoirs publics ». C’est la directrice générale de la mairie, quant à elle, qui va prendre en note les débats et en fera le compte rendu qui sera transmis au préfet et à la plate-forme du grand débat.

« Ils se moquent de nous. Vous croyez qu’il y en a beaucoup qui vont répondre “augmenter les impôts” ? »

Mme Delplat explique que la réunion se tiendra en deux temps : un premier temps pour répondre aux questionnaires ou formuler par écrit des suggestions avant de passer, dans un deuxième temps, au débat proprement dit. De petits groupes se forment à chaque table. Rapidement, les échanges se nouent. Certains trouvent les questions trop fermées, d’autres les jugent orientées, parfois difficiles à interpréter. « Considérez-vous qu’il y a trop d’échelons administratifs ? Qu’est-ce que vous voulez que je réponde ? Si je réponds oui, qu’est-ce qu’ils vont nous enlever ? », s’interroge une mère de famille accompagnée de sa fille.

« C’est quoi leur truc ? Ça tient pas debout, peste un autre. “Afin de réduire le déficit public de la France qui dépense plus qu’elle ne gagne, pensez-vous qu’il faut avant tout : réduire la dépense publique, augmenter les impôts, faire les deux en même temps, je ne sais pas.” Ils se moquent de nous. Vous croyez qu’il y en a beaucoup qui vont répondre “augmenter les impôts” ? » Les participants échangent entre eux à chaque table, se consultent, s’aident, se conseillent, les conversations se nouent.

Retraite et ISF, les deux sujets du débat

Place au débat. Une bonne quinzaine des présents y prendront part. Pas étonnant, vu la composition de la salle, la première intervention porte sur le sujet des retraites, de leur non-revalorisation et de la perte de pouvoir d’achat des retraités. Vient ensuite la suppression de l’impôt sur la fortune (ISF), fréquemment évoquée et critiquée. « C’est un symbole pour la population, dit une intervenante. Il faut qu’il le remette. Pourquoi est-ce que la première chose que Macron a faite, c’est en faveur des plus riches, qui ont une armada de conseillers et de juristes pour échapper déjà à l’impôt ? » « On nous parle d’évaluation mais, cette évaluation, c’est un prétexte pour ne pas rétablir l’ISF, parce que la campagne de Macron a été financée par des grandes fortunes et c’est le renvoi d’ascenseur, renchérit un autre. Or c’est le point de départ du mouvement actuel. »

Rapidement, ceux qui ont plus l’habitude de la prise de parole en public et dont le discours est rodé accaparent un peu plus que les autres la parole. On reconnaît aisément les argumentaires soit de La France insoumise, d’Attac ou du PCF, à l’instar de Bernard Vigne, conseiller municipal (PCF) de la commune qui, en deux interventions, aura déroulé la quasi-totalité du programme de revendications et de la dialectique de sa formation. « Je suis là pour débattre, pas pour répondre à un questionnaire », rétorque-t-il quand certains participants manifestent quelques signes d’impatience.

« On n’avancera pas si on continue à avoir, chacun de notre côté, une vision fantasmée de la réalité, tente un ancien directeur du développement dans une PME locale, aujourd’hui retraité, électeur de Macron. Si on veut vraiment refaire de la politique et avoir des réponses pertinentes, peut-être qu’il faut d’abord faire de la pédagogie pour rendre plus claire la complexité qui nous entoure. » Un enseignant, lui, s’inquiète de la « méconnaissance des institutions publiques par les citoyens ».

« Ce débat est une bonne chose mais ça ne peut pas être un coup et après on arrête. Il faut que ça devienne un mouvement régulier »

Dans leur ensemble, cependant, les participants jugent plutôt favorablement l’initiative du débat, « parce que c’est ensemble qu’on doit faire nation ». « Je souhaite que les doléances puissent effectivement être prises en compte mais j’ai des doutes », s’interroge cependant une retraitée. Le débat s’achève au bout de deux heures. Quelques participants s’en prennent au député de la circonscription, resté silencieux au fond de la salle, lui reprochant de ne pas y avoir pris part. « Mais si j’étais intervenu, vous me l’auriez reproché », se défend-il. « De toute façon, c’est une marionnette. Tout comme Macron c’est une marionnette du capital, s’énerve une insoumise convaincue. C’est tout le système qu’il faut changer. »

Mme Delplat se dit malgré tout satisfaite de cette première expérience et déterminée à en organiser d’autres, dans les quartiers cette fois, pour tenter d’associer un plus grand nombre d’administrés à ces échanges. « Ce débat est une bonne chose mais ça ne peut pas être un coup et après on arrête. Il faut que ça devienne un mouvement régulier », approuve un participant.

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