Un policier devant une banque vandalisée à Toulouse, lors de la dixième journée de mobilisation des « gilets jaunes », au cours de laquelle 24 personnes ont été interpellées. / PASCAL PAVANI / AFP

« C’est bien que Fly Rider soit là, il va amener du monde », espère un « gilet jaune », samedi 19 janvier, vers 14 heures. Comme il l’avait annoncé sur les réseaux sociaux, Maxime Nicolle, figure du mouvement et du collectif La France en colère, était bien à Toulouse pour la dixième journée de mobilisation.

« Je suis ici car c’est le souhait de plein de personnes, explique celui qui est surnommé « Fly Rider ». Comme il n’y a ni chef, ni leader dans ce mouvement, je me déplace à droite, à gauche, pour voir si les gens sont motivés et connaître leurs revendications. » Attendu par des manifestants, le Breton de 31 ans, administrateur de la page Facebook de « Fly Rider infos blocage » qui enregistre plus de 166 000 abonnés, a pris la tête du cortège toulousain.

Près de 10 000 personnes ont manifesté dans ce cortège hétéroclite, composé de jeunes, d’étudiants, de retraités, de salariés et de précaires. Il s’agit d’un record de mobilisation depuis le début du mouvement toulousain, qui constitue désormais l’épicentre de la contestation des « gilets jaunes », dépassant le nombre de manifestants parisiens, qui s’élevait à 7 000 samedi. En début d’après-midi, peu après son départ boulevard de Strasbourg, le cortège a été rejoint par une poignée de militants syndicaux de la CGT, de FO et de la FSU.

« Le grand débat, c’est du pipeau »

Déambulant dans le centre-ville, les manifestants de ce rassemblement non déclaré en préfecture ont scandé des « Toulouse, soulève-toi », quand d’autres ont entonné la Marseillaise. Devant les forces de l’ordre, un homme dénonçant les violences policières, exhibe des photos de victimes blessées au visage lors des précédentes manifestations.

Dans le cortège, les « gilets jaunes » réclament notamment l’instauration d’un référendum d’initiative citoyenne (RIC) et le rétablissement du l’ISF. Aux revendications initiales contre la hausse du prix du carburant et du pouvoir d’achat, s’ajoute également une vive protestation contre le « grand débat national », voulu par Emmanuel Macron, et lancé cette semaine.

« Le grand débat, c’est du pipeau, explique un retraité de 62 ans qui participe au
mouvement depuis le 17 novembre. On a fait des doléances mais on n’est pas écoutés ». Pour « Fly Rider » ce débat national « c’est de l’enfumage » :

« On veut aussi que les privilèges d’Etat, rentes, salaires, anciennes retraites diminuent. »

Cette colère se porte aussi sur l’exécutif. « Il faut tout changer, la République et sa Constitution », tonne un jeune chômeur. « Il faut aller plus loin. Cette France à deux vitesses, qui oppose les riches aux pauvres, doit cesser », ajoute une fonctionnaire d’une cinquantaine d’années.

Canon à eau

A 16 h 30, le Monument aux morts disparaît sous un épais nuage de lacrymogène. Bruits sourds, cris, explosions. En fin d’après-midi, des échauffourées se poursuivaient, sans comparaison toutefois avec les violences des semaines précédentes.

Un canon à eau a été déployé vers 17 h 30 pour repousser les manifestants sur le grand boulevard entourant le centre historique, après que les forces de l’ordre ont à plusieurs reprises fait usage de gaz lacrymogènes sous divers projectiles envoyés des rangs des manifestants.

Sur la place centrale du Capitole, la façade de la mairie, un bâtiment historique du XVIIe siècle, a été taguée, avec notamment le message « Macron Bolsonaro, Non » assimilant le président français à son homologue brésilien d’extrême droite Jair Bolsonaro. Plusieurs vitrines bancaires ont également été attaquées.

A 18 heures, le bilan de cette nouvelle journée de mobilisation faisait état de 24 interpellations. Depuis le début du mouvement, 350 personnes ont été interpellées et 34 incarcérées. Dimanche, à partir de 11 heures, le mouvement des femmes « gilets jaunes » manifesteront dans la ville.

Commerçants inquiets

Pour anticiper les éventuelles dégradations de cette dixième journée de mobilisation, cafés et commerces avaient baissé leurs grilles. Les Galeries Lafayette, prises pour cible la semaine passée, avaient érigé dès vendredi de grandes plaques en bois. « Je suis angoissée et dépitée. J’ai préféré fermer ma boutique, car dans ce contexte, la sécurité prime sur le chiffre d’affaires », témoigne Eugénie, gérante d’une boutique pour enfants, qui juge « légitimes les contestations des “gilets jaunes” ».

Comme cette gérante, depuis mercredi, des centaines de commerçants de la
ville rose, impactés régulièrement par les dégradations, ont placardé « A VENDRE » sur leurs vitrines, pour interpeller passants et pouvoirs publics. Fédérés dans le « collectif des commerçants en colère 31 », ils redoutent des conséquences « désastreuses » pour leur activité.

En fin de semaine, la chambre de commerce et d’industrie indiquait que 97 % des commerçants ou artisans ont connu une baisse de fréquentation de leur clientèle. Ils sont 43 % à avoir subi « un impact négatif sur la relation avec les fournisseurs » et 20 % à accuser un recul de leur activité au-delà de 50 %. Après une série de mesures annoncées par le maire de Toulouse, Jean-Luc Moudenc (LR), c’est la présidente de la région Occitanie, Carole Delga (PS), qui a débloqué un fonds d’intervention exceptionnel de 3 millions d’euros pour venir en aide aux commerçants, artisans et entreprises des centres-villes de la région.