Steve Chainel en 2012 sous la maillot (boueux) de la FDJ. / DAVID STOCKMAN / AFP

Cette saison en cyclo-cross, les courses se suivent avec un scénario invariable et un rien monotone. Résumons : un Néerlandais avec des origines limousines s’isole à l’avant dès le premier tour (Mathieu van der Poel, petit-fils de Raymond Poulidor), derrière une horde de Belges (emmenés par le champion du monde, Wout Van Aert) pédalent pour les accessits. Pontchâteau (Loire-Atlantique) accueille ce dimanche 20 janvier la 8e manche de la Coupe du monde ; Van der Poel au repos, la victoire devrait donc se résumer à une histoire belge.

Du côté français, un Top 10 tiendrait déjà pour un petit exploit. Steve Chainel aura, lui, un petit pincement au cœur au moment de s’élancer sans son maillot bleu-blanc-rouge. « J’ai pris une volée dimanche dernier », avoue le champion de France 2018. Un mauvais départ, « une méchante pelle » dans le premier tour sur le circuit de Besançon et le Vosgien « débranche dans la tête » pour finir à la 16e place.

Deux jours plus tard, le sourire est déjà de retour pour recevoir chez lui à Remiremont (Vosges). Le coureur enfile son autre casquette, celle du manager de la Team Chazal-Canyon, une des trois équipes françaises à bénéficier du label UCI (Union cycliste internationale) cyclo-cross cette saison. Dans les locaux prêtés par la mairie, le patron coureur de 35 ans prépare le café et clame son envie de sortir de l’ornière le cyclo-cross en France : « Tout le monde dit “les Belges ont tout ce qu’il faut, moi j’ai envie de les copier, mais à ma sauce. » Depuis que les équipes professionnelles (comme la FDJ de Marc Madiot) ont délaissé les sous-bois et ne permettent plus à certains coureurs de cumuler cyclo-cross et route, le modèle français est à réinventer.

A Besançon, le champion de France, Clément Venturini, n’était qu’en permission. « Mes dirigeants d’AG2R La Mondiale me font un cadeau en me laissant venir ici », avouait-il à L’Equipe avant la course. Un petit tour et puis s’en va. Venturini ne sera pas présent à Ponchâteau, ni aux championnats du monde à Bogense au Danemark, le 3 février. Son employeur a déjà sonné le rappel de la route.

De coureur « immature » à manager investi

« Les saisons sur route sont devenues beaucoup plus longues, constate Steve Chainel. Aujourd’hui, le petit budget que les équipes mettaient sur le cross pendant la trêve hivernale part sur des courses en Australie, aux Emirats ou en Amérique du Sud. » Coureur sur route pendant neuf ans lui-même, il est persuadé qu’un Clément Venturini, champion du monde junior de cyclo-cross en 2011, n’a pas oublié les terrains boueux de ses débuts. « Si j’avais un million d’euros pour monter mon équipe continentale [1re division] comme j’aimerais, je paye le même salaire à Clément que celui qu’il reçoit chez AG2R pour faire de la route. Il viendrait chez moi pour s’éclater en cyclo-cross pendant quatre mois et enchaîner après le printemps avec un programme sur route adapté. »

Avec un budget (qu’il ne communique pas) mais évalué à un peu plus de 100 000 euros pour sa quatrième saison, le compte n’y est pas encore. Alors pour faire vivre sa structure de quatre coureurs, Chainel s’est découvert une âme d’entrepreneur inattendue par rapport à l’image du garçon gouailleur, attachant mais « un peu immature » accrochée à son dossard pendant sa carrière sur route.

« A la base, je suis plutôt un suiveur, quelqu’un qui se laisse vivre, mais je me suis surpris à me bouger, à taper aux bonnes portes. Quand je présente mon projet à M. [Alain] Chazal [propriétaire d’une entreprise de charcuterie et viande en gros], j’y vais au culot, on discute et à la fin il me demande : “Combien il te faut ?” Et il me donne 90 % du budget sans même parler de retour sur investissement. »

Des aides de la région et du département complètent le budget, sans oublier les vélos fournis par la marque Canyon. Consultant pour la chaîne Eurosport de mars à octobre, Steve Chainel ne se verse pas de salaire mais espère pouvoir rémunérer prochainement les mécanos et son kiné, aujourd’hui bénévoles. Du côté des coureurs (dont les frais sont pris en charge par l’équipe), seul le tout récent champion de France espoirs, Antoine Benoist, reçoit « une petite enveloppe en fin d’année ».

S’inspirer de Van der Poel et Van Aert

Troisième des championnats d’Europe de sa catégorie en novembre, le Breton incarne à 19 ans l’avenir de la discipline en France. « Antoine a un potentiel de dingue, jure Chainel. Il a la génétique, le talent et un mental de fou. Il sera sur un podium mondial s’il ne passe pas sur la route. » De Clément Venturini à Fabien Doubey et même Julian Alaphilippe, les Français ont brillé chez les juniors et les espoirs depuis dix ans. Mais l’appel du bitume (et ses salaires garantis) a toujours été plus fort.

Antoine Benoist, ne se pose pas encore la question. « Tous ces coureurs sont partis sur route parce qu’il n’existait pas de structures comme celle de Steve. Ils avaient un bon niveau sur route aussi, moi j’ai encore beaucoup à apprendre », admet le licencié au club de Nantes-Atlantique chez les amateurs. Sans encore se comparer à eux, le jeune homme imagine un plan de carrière à la Van der Poel et Van Aert. A moins de 25 ans, les deux monstres de la discipline se répartissent les titres mondiaux depuis 2015 et aussi les revenus, estimés à plus d’un million d’euros chacun par saison.

Le talent ne connaissant pas de terrain, ils titillent aussi les routiers avec un certain succès. En 2018, Van Aert a terminé 9e du Tour des Flandres et remporté le Tour du Danemark, Van der Poel a pris la médaille d’argent du championnat d’Europe. « Ils montrent qu’on peut aussi bien marcher sur route après une saison de cyclo-cross », fait remarquer Antoine Benoist.

Quand il regarde dans le rétroviseur sa carrière, Steve Chainel se prend en exemple pour donner le sens de tout son projet. « J’ai adoré ma carrière sur route, mais j’y suis un peu parti par substitution. J’aurais été plus épanoui en me consacrant davantage au cyclo-cross. C’est ce mot “substitution” dont je n’ai plus envie d’entendre parler pour des garçons comme Antoine. Je veux leur offrir cette possibilité de s’éclater dans leur discipline. » Et démontrer que le cyclo-cross n’est pas qu’une affaire de Belges arbitrée par un Néerlandais.