Theresa May après une conférence de presse, à Downing Street (Londres), le 15 janvier 2019. / OLI SCARFF / AFP

Après que son « plan A », l’accord de divorce signé fin 2018 avec les Européens, a été brutalement rejeté par Westminster le 15 janvier, la première ministre britannique, Theresa May, doit présenter un « plan B » lundi 21 janvier, pour permettre à son pays d’accomplir comme promis le Brexit le 29 mars.

Après deux ans de négociations en partie vaines, les Européens sont dans l’expectative : c’est aux politiques du Royaume-Uni qu’il revient désormais enfin de s’entendre sur le Brexit qu’ils souhaitent, voire sur l’organisation d’un second référendum.

Condamnés à la posture de spectateurs, les Européens disposent quand même de quelques marges de manoeuvre, sinon pour aider les Britanniques à sortir de l’impasse, du moins pour éviter un « no deal » par accident, un « non accord » qui adviendrait par défaut, si aucune solution « positive » ne s’imposait à temps outre-Manche.

  • Rouvrir partiellement les accords de divorce du 25 novembre

Les dirigeants de l’Union ont certes répété que les 585 pages du traité du divorce lui-même n’était plus négociables. Mais la vingtaine de pages de la déclaration politique qui l’accompagne ne sont pas, elles, gravées dans le marbre. Michel Barnier, le négociateur en chef pour l’Union européenne (UE), l’a dit lui-même au lendemain du vote négatif à Westminster :

« S’agissant de cette relation future (...) je veux rappeler que [le Parlement européen] et le Conseil européen unanime ont toujours dit que si le Royaume-Uni choisit de faire évoluer ses propres lignes rouges à l’avenir et qu’il fait le choix de davantage d’ambition, d’aller au-delà d’un (...) simple accord de libre-échange, alors l’Union européenne restera immédiatement prête à accompagner cette évolution et à y répondre favorablement. »

Pour rappel, le traité de divorce à proprement parler répond à trois urgences :

  • Préserver le sort des presque 5 millions d’expatriés - Européens et Britanniques- après le 29 mars;
  • S’assurer que le Royaume-Uni paie bien sa part du budget pluriannuel de l’UE déjà engagée;
  • Préserver les accords de paix du « Good friday agreement » entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande, ce qui passe nécessairement par l’évitement du retour d’une frontière physique en Irlande après le Brexit.

La relation future, qui a une valeur légale bien moindre, esquisse, elle, ce que pourrait être la relation - commerciale, de sécurité et de défense - entre les 27 et le Royaume-Uni après le 29 mars.

Le traité et la déclaration ont été négociés par les 27 en respectant scrupuleusement les « lignes rouges » définies par Theresay May début 2017 : elle voulait sortir son pays à la fois du marché intérieur et de l’Union douanière. Les deux textes tiennent aussi compte de la forme du « backstop » irlandais qu’a réclamée Mme May en octobre dernier après en avoir accepté le principe dès décembre 2017.

Coincée par le petit parti unioniste irlandais DUP, qui lui assure sa fragile majorité parlementaire, Mme May a réclamé que cette assurance contre le retour d’une frontière physique en Irlande prenne la forme - temporaire- d’une participation partielle de l’ensemble du Royaume-Uni à l’Union douanière.

Si demain, Mme May revient sur ses lignes rouges et réclame une participation du Royaume-Uni permanente à l’Union douanière, voire si elle propose qu’il ne quitte finalement pas le marché unique, les Européens obtempèreront en amendant la « relation future ». Vers un accord commercial et politique du type « Norvège » ou « Turquie » ? Pourquoi pas, du moment que les principes de fonctionnement du marché intérieur soient respectés (au premier rang desquels ses quatre libertés de circulation : des capitaux, des personnes, des services et des biens).

  • Aménager le « backstop » irlandais, mais pas l’annuler

Quel que soit le « plan B » proposé par Mme May, les Européens vont continuer d’exiger un « backstop », une assurance contre le retour d’une frontière physique en Irlande. Car même si la Première ministre britannique réclame à l’avenir que son pays reste dans l’Union douanière, cette assurance restera nécessaire.

En effet : union douanière ou pas, l’entrée dans le marché unique nécessitera des vérifications phytosanitaires, à minima, afin de s’assurer que les marchandises provenant d’Irlande du Nord et pénétrant en République d’Irlande respectent les règles européennes. Pour éviter ces contrôles, l’UE continuera d’exiger un alignement réglementaire de l’Irlande du Nord sur l’UE, au moins pour les biens industriels et les produits agricoles et agroalimentaires.

Les Européens peuvent très bien accepter de modifier ce « backstop », d’en revenir à la version qu’ils proposaient jusqu’en octobre dernier (seule l’Irlande du Nord s’aligne sur les règles de l’UE), mais la seule manière d’éviter complètement cette assurance qui n’a vocation qu’à être temporaire, le temps que l’UE et le Royaume-Uni s’accordent sur une relation future, c’est d’éviter le Brexit...

Accepter que le « backstop » soit limité précisément dans le temps, comme l’exige Mme May ? Il est très peu probable que les 27 cèdent. Car cela lui ferait perdre son caractère d’assurance « tous risques ». Un accord bilatéral Dublin/Londres pour contourner le backstop, comme le rapportait la presse britannique ce dimanche 18 janvier ? Dublin a rejetté immédiatement l’idée : la future frontière à éviter en Irlande serait une frontière de l’UE avec un pays tiers, qui nécessite donc un accord avec l’UE.

La première ministre britannique joue t-elle la montre en espérant qu’à l’approche d’un no-deal, les Européens perdront leur nerfs et préfèreront lâcher l’Irlande ? Il est très peu probable qu’ils cèderont de cette manière, en négligeant l’intérêt vital d’un de leurs membres au profit de celui d’un futur Etat tiers.

Jusqu’à présent, l’UE a toujours placé l’intérêt de ces membres, même les plus petits, avant ceux des tiers. Un exemple ? Chypre, au plus fort de la crise migratoire. L’Allemagne était pressée de signer un accord avec la Turquie pour endiguer les flux de migrants, mais à Bruxelles, le Conseil a tenu à respecter le voeux du gouvernement chypriote, et refusé d’accorder à Ankara, en échange, des avancées substantielles dans le processus d’adhésion de la Turquie à l’UE.

  • Décaler le Brexit, mais pas à n’importe quelle condition

Le niveau d’exaspération des diplomates européens à l’égard de la négociation du Brexit est au plus haut : ils y ont déjà consacré près de deux ans, probablement en vain. Si on leur donnait le choix, pas mal d’entre eux seraient prêts à sauter le pas et à opter pour un « no deal » radical. Mais leurs dirigeants seront-ils prêts, le moment venu, fin-mars, à porter la responsabilité écrasante d’un « non accord » ? C’est peu probable, pour des raisons géopolitiques, mais aussi de politique intérieure dans les pays membres.

Un no-deal dévastateur, interviendrait ainsi en pleine clotûre du grand débat national en France, au coeur de la campagne pour les Européennes, alors que les Belges n’ont plus qu’un gouvernement « technique » au niveau fédéral, leur premier ministre, Charles Michel, ayant perdu sa majorité fin 2018... « Les leaders raisonnent à court terme, ils vont vouloir éviter la catastrophe », prognostique un diplomate bruxellois.

C’est la raison pour laquelle même si une prolongation des négociations n’est pas encore concrètement sur la table des discussions, elle est quand même dans toutes les têtes à Bruxelles. Le président Macron l’a évoquée dès le 15 janvier, le chancelier autrichien Sebastian Kurz y a fait référence à nouveau ce dimanche. « Si Londres propose un plan pour le Brexit avec un agenda et une stratégie, alors un décalage du Brexit de quelques mois est envisageable », a t-il déclaré au journal allemand Welt am Sonntag.

Ce scénario n’enchante pas les Européens, surtout si Londres réclamait une extension qui irait au delà des élections européennes du 26 mai : elle risquerait de polluer complètement un scrutin décisif pour leur avenir commun. Mais ils s’y tiennent prêts : leurs services juridiques ont déjà été mis à contribution pour étudier ce cas de figure particulièrement embarrassant.

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