Des habitants de Gdansk regardent les funérailles de leur maire assassiné, sur un écran géant devant l’église Sainte-Marie à Gdansk, samedi 19 janvier. / WOJTEK RADWANSKI / AFP

« Aujourd’hui, nous avons besoin de silence, mais cela ne peut pas signifier le mutisme, car se taire confinerait à l’indifférence. » En Pologne, cinq jours après l’attaque au couteau qui a coûté la vie, lundi 14 janvier, au maire libéral de Gdansk, Pawel Adamowicz, l’oraison funèbre prononcée samedi par son épouse Magdalena est venue clôturer une intense série de commémorations, mais aussi peut-être la fragile trêve politique consécutive au drame.

« Aujourd’hui, nous devons tous faire notre examen de conscience. Que faisions-nous lorsqu’à côté de nous se manifestaient le mal, l’injustice, la bassesse ? Pawel et notre famille étions visés par de nombreuses mauvaises paroles, ça nous faisait mal mais Pawel prenait ça sur lui. Que ne se répète jamais la tragédie qui l’a affecté, lui et notre famille, et a couvert Gdansk de deuil », a martelé Magdalena Adamowicz sous les voûtes blanches de l’immense église Sainte-Marie, dans un discours qui a fait pleurer l’assistance.

Outre les dizaines de milliers d’habitants de la ville réunis pour un dernier hommage à leur maire, l’église comptait la plupart des hauts responsables politiques du pays, dont le président de la République, Andrzej Duda, et le premier ministre, Mateusz Morawiecki, issus du parti ultra-conservateur Droit et justice (PiS).

« Nous ne serons plus indifférents au poison de la haine »

Etait-ce d’abord à eux que s’adressait la veuve de l’édile assassiné ? L’oraison suivante prononcée par Aleksander Hall, ami de longue date du défunt et ancien député conservateur, n’a pas laissé place au doute. Après avoir rappelé le rôle des parents de Pawel Adamowicz dans la formation de sa « foi profonde », son « patriotisme » et sa « connaissance de la véritable histoire de la Pologne » – des valeurs sur lesquelles le PiS revendique le monopole –, il a affirmé que « la haine qui a tué Pawel a été générée en le disqualifiant moralement. J’appelle ceux qui ont une influence sur notre vie publique, donc avant tout les gouvernants, à abandonner ces pratiques. »

Des habitants de Gdansk regardent la retansmission des funérailles de leur maire assassiné sur un écran géant, samedi 19 janvier. / AGENCJA GAZETA / REUTERS

Moins explicite quant aux destinataires de ses reproches, mais plus cinglants encore dans ses propos, le père dominicain Ludwik Wisniewski, figure de l’aile « ouverte » de l’Eglise polonaise, a été applaudi pour avoir tonné : « Il faut arrêter avec les discours haineux, le mépris, les accusations infondées. Nous ne serons plus indifférents au poison de la haine qui pullule dans les rues, les médias, sur Internet, dans les écoles, au Parlement, mais aussi à l’église. Ceux qui parlent le langage de la haine et font carrière sur le mensonge ne peuvent pas exercer de hautes responsabilités dans notre pays. »

Le meurtre de Pawel Adamowicz marque-t-il un tournant dans la vie politique polonaise ? Au gouvernement, on semble, en tout cas, avoir pris au sérieux les critiques sur le laxisme des forces de l’ordre lorsqu’il s’agit de sanctionner les incitations à la haine. Ces derniers jours, avec un zèle inédit, elles ont arrêté une vingtaine de personnes ayant proféré des menaces contre des hommes politiques ou « s’étant publiquement moqués de la mort tragique du maire de Gdansk ».

Le rôle des médias en question

En revanche, l’utilité d’une nouvelle loi de pénalisation du discours de haine ne fait pas l’unanimité, y compris dans l’opposition. Le Défenseur des droits, Adam Bodnar, estime ainsi qu’une partie du problème réside dans le cumul des fonctions de ministre de la justice et de procureur général, exercées par « un homme politique qui poursuit des objectifs politiques par l’intermédiaire du parquet et accélère ou ralentit les procédures en fonction de besoins politiques ». Une allusion claire au ministre de la justice, Zbigniew Ziobro, qui exerce un contrôle direct sur le parquet tout en dirigeant un parti satellite de la coalition autour du PiS.

Hommages au maire de Gdansk assassiné, Pawel Adamowicz, à Cracovie, samedi 19 janvier 2019. / AGENCJA GAZETA / REUTERS

Au cours des funérailles, le frère du maire assassiné, Piotr Adamowicz, a rappelé qu’« il n’y a pas si longtemps, un groupe de nationalistes avait délivré un acte de décès politique à mon frère et dix autres maires [signataires d’une déclaration favorable à l’accueil de migrants]. L’affaire n’a pas été considérée [elle a été classée sans suite par le parquet]. »

Du côté des médias publics, en particulier la télévision TVP dont la brutalité et la vulgarité de la propagande suscitent le rejet jusque dans les rangs du PiS, le directeur Jacek Kurski semble, cependant, toujours bénéficier de la protection du tout-puissant président du parti, le député Jaroslaw Kaczynski. Ce dernier s’est d’ailleurs fait remarquer par son absence lors des obsèques officielles et de la minute de silence observée au Parlement.

Romain Su