Un manifestant anti-Brexit devant le Parlement à Londres, en janvier 2018. / Clodagh Kilcoyne / REUTERS

Deux Français au pays du Brexit

A une centaine de kilomètres au nord-ouest de Londres, la prestigieuse ville d’Oxford est un bastion anti-Brexit : 75 % de ses habitants se sont prononcés pour le maintien dans l’Union européenne lors du référendum de 2016. En poste depuis septembre à la Maison française d’Oxford, Agnès Alexandre-Collier et Thomas Lacroix livrent pour Le Monde leur regard de chercheurs et de ressortissants français installés pour deux ans avec leurs familles.

Depuis septembre, certains de nos enfants ont la chance d’être scolarisés à l’Europa School, à Culham, à quelques kilomètres au sud d’Oxford, seule école du pays subventionnée par le gouvernement britannique qui revendique le statut d’école européenne.

Comme en France et dans d’autres pays de l’Union européenne, ces écoles se conforment au programme du baccalauréat européen et proposent un enseignement entièrement bilingue. Elèves et enseignants tirent une immense fierté de cet environnement polyglotte, multiculturel et ouvert sur le monde où les élèves sont souvent issus de familles binationales ou ont longtemps vécu à l’étranger. Mais le rejet massif par les députés britanniques de l’accord de sortie de l’Union européenne conclu entre Londres et Bruxelles, mardi 15 janvier, pourrait mettre en danger cette institution.

Culham a longtemps fait figure d’exception dans un pays où l’histoire de l’Union européenne et celle de ses institutions sont totalement absentes des programmes scolaires. Les visiteurs sont souvent admiratifs de ce site niché dans un écrin de verdure en plein cœur de la campagne anglaise et comme figé dans un autre temps, où des élèves de tous les âges passent d’une langue à l’autre avec une aisance impressionnante.

Menaces sur la fonction même de l’école européenne

Ici peut-être plus qu’ailleurs, le Brexit a fait l’effet d’un séisme. Le 24 juin 2016, le lendemain du référendum, a été vécu comme une journée de deuil. Au sens propre du terme. Vêtu d’une cravate noire, en signe de désarroi et de recueillement, l’un des responsables de l’école avait dû faire le tour des petites classes pour consoler des enfants littéralement en larmes, paniqués à l’idée que leur école puisse fermer du jour au lendemain. Pour ces enfants issus de familles qui, en quelque sorte, incarnent le projet européen, le Brexit a été d’une violence qu’on peine à imaginer, accentuée par un sentiment général de rejet.

Seuls les établissements sis dans un pays de l’UE sont autorisés à délivrer le bac européen

Les plus inquiets sont ceux qui ont pris le verdict du référendum comme une attaque presque personnelle. C’est particulièrement vrai au sein de la communauté polonaise, non seulement à Culham, mais aussi parmi les parents d’élèves et universitaires que nous côtoyons à Oxford – ville qui a pourtant voté à 75 % pour le maintien dans l’Union. Nombreux sont ceux qui nous font part d’un sentiment d’exclusion croissante et d’un changement de climat à leur égard depuis 2016.

Depuis ce jour, l’école européenne de Culham se bat pour son avenir. Ce n’est pas tant sa survie qui est menacée que sa finalité même : le baccalauréat européen. Seuls les établissements sis dans un pays de l’Union européenne sont autorisés à délivrer ce diplôme. Le « deal », l’accord régissant la sortie de l’Union, donnait à l’école un délai de deux ans pour abandonner le baccalauréat européen et mettre en place un baccalauréat international. Mais le rejet de cet accord par le Parlement, mardi soir, ouvre une nouvelle période d’incertitude. En l’absence de compromis, le bac européen devra être abandonné dès l’année prochaine. Dans un contexte aussi incertain, les soutiens du côté anglais sont substantiels.

Les institutions de l’UE indifférentes

C’est un conservateur, John Howell, le député local, qui est à l’origine d’une pétition déposée le 25 octobre 2018 qui a rassemblé 2 469 signatures. Pourtant si la vidéo mise en ligne par le site de l’école nous montre le député présenter sa pétition devant les rangs quasi vides de la Chambre des communes, donnant l’impression d’un désintérêt total de la part de la classe politique, la réponse du ministre de l’éducation se révèle à la fois rassurante et impliquée. Bien plus en tout cas que les institutions européennes qui, au grand dam des opposants au Brexit, s’avèrent totalement indifférentes.

Le gouvernement britannique se dit prêt à investir pour accompagner l’école dans sa transition. L’UE ne lève pas le petit doigt

C’est bien là tout le paradoxe : alors que le gouvernement britannique se dit prêt, dans sa réponse à la pétition, à investir de l’argent et de l’énergie pour accompagner l’école dans sa transition, l’Union européenne ne lève pas le petit doigt. D’ici là, soutenus par les députés locaux et par le secrétariat général des écoles européennes, les responsables de l’école comme la principal Lynn Wood se démènent pour trouver une solution temporaire pour les élèves de dernière année qui préparent actuellement le baccalauréat : un arrangement a été trouvé avec l’école européenne de Bergen aux Pays-Bas pour la seule année 2020, qui permettra aux élèves de Culham de passer l’examen sans que les modalités pratiques n’aient été encore définies.

Et les responsables de l’école de déplorer, comme ces opposants au Brexit qui se mobilisent à Oxford, la double peine que le résultat du référendum de 2016 leur inflige : être abandonnés à la fois par la classe politique britannique, qui semble ne se soucier que des 17 millions d’électeurs favorables au « leave » et par l’Union européenne, qui reste campée dans un idiotisme bureaucratique que personne ne comprend. Culham incarne l’échec d’une certaine Europe arc-boutée sur une réglementation sourcilleuse, l’administration européenne ne sachant pas voir aussi le projet de société que vivent ses citoyens au quotidien. Les Britanniques n’ont que ce qu’ils méritent, entendent-ils trop souvent depuis le continent, mais pour ces anti-Brexiters, c’est surtout eux qu’on punit…

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