Cent migrants ont été secoururs in extremis, le 20 janvier 2019. La veille, 117 personnes en provenance de Libye disparaissaient lors du naufrage de leur embarcation dans les eaux de la Méditerranée. / Darrin Zammit Lupi/REUTERS

La nouvelle a été rendue publique en début d’après-midi, dimanche 20 janvier, sur le compte Twitter de la ligne d’alerte de l’ONG Watch the Med, qui recense les morts en mer, et les atteintes aux droits fondamentaux dont sont victimes les migrants cherchant à rejoindre l’Europe.

A une soixantaine de milles des côtes libyennes, au large de Misrata, une centaine de migrants à la dérive appellent à l’aide. Contactant le Centre de coordination des opérations de sauvetage en mer (MRCC) de Rome, puis les autorités maltaises, les volontaires de Watch the Med se sont entendus répondre qu’ils devaient appeler les « garde-côtes » libyens. En effet, la zone des eaux internationales dans laquelle dérive l’embarcation est théoriquement du ressort de Tripoli, depuis la naissance d’une zone de secours libyenne à l’été 2018.

Mais, à Tripoli, personne ne répond. Les volontaires de Watch the Med affirment avoir composé huit numéros différents, sans succès. Durant plusieurs heures, le black out est total. Et la situation à bord se détériore rapidement. En début de soirée, le téléphone satellite cesse d’émettre, faute de batterie.

« Certains pays n’ont jamais mis fin à la colonisation »

La suite de l’opération sera racontée par les médias italiens. Dans la soirée, la présidence du Conseil, qui semble être intervenue directement, annonce qu’un navire de commerce battant pavillon sierra-léonais, mandaté par la Libye, a été dérouté pour aller secourir les naufragés et les ramener à Tripoli. Une opération qui contrevient au droit maritime – les ports libyens ne sauraient être considérés comme « sûrs » –, mais que les autorités italiennes présenteront cependant, par la voix du ministre des transports Danino Toninelli, comme « conforme aux conventions internationales ».

De toute façon, l’essentiel est ailleurs. Après l’annonce samedi d’un naufrage qui a fait 117 morts et porte à plus de 200 le nombre de victimes recensées depuis le début de l’année, un nouveau drame en direct aurait apporté un cruel démenti au gouvernement italien, attaché à dire depuis des mois que la fermeture des ports et l’expulsion du canal de Sicile des navires d’ONG ont eu pour effet de faire chuter la mortalité en mer.

Réagissant dans la matinée de dimanche à l’annonce du dernier naufrage en mer, le ministre de l’intérieur italien, Matteo Salvini, en campagne électorale dans les Abruzzes, n’a pas dévié de sa ligne habituelle. « Si je me sens coupable ? Non, moins il y a de départs, moins il y a de morts », a-t-il assuré, avant de replacer le débat sur le terrain local : « Les seuls vrais racistes sont à gauche, et ils pensent que nous devons résoudre les problèmes du monde, tout en fermant les hôpitaux dans les Abruzzes ! »

Son homologue du Mouvement 5 Etoiles, Luigi Di Maio, qui faisait de son côté campagne en Sardaigne, a lui aussi réaffirmé la ligne du gouvernement. « Je vois beaucoup de larmes de crocodile, mais moi j’ai arrêté de faire l’hypocrite. Si aujourd’hui nous avons tant de gens qui partent d’Afrique, c’est parce que certains pays, la France en tête, n’ont jamais mis fin à la colonisation »… et le chef politique des 5 Etoiles d’incriminer ensuite le franc CFA, outil qui permettrait selon lui à Paris de payer ses dettes en pillant les ressources du continent. Des propos qui ont valu à l’ambassadrice d’Italie en France d’être convoquée, lundi, au ministère français des Affaires étrangères.

« L’Italie rançonnée »

Le torrent de réactions et d’accusations des officiels italiens tranche avec le peu d’informations filtrant depuis Tripoli. Dans la soirée de dimanche, les autorités libyennes ont fait savoir qu’elles avaient réalisé deux opérations de « sauvetage » dans la journée. Finalement, c’est Matteo Salvini lui-même qui avancera, lundi matin, le total de 393 personnes ramenées sur le sol libyen dans la journée de dimanche, démontrant en creux le peu d’informations dont disposent les observateurs depuis le départ de la zone des navires d’ONG.

Pourquoi cette soudaine recrudescence des départs au cœur de l’hiver ? Certaines sources italiennes expliquent cela par la situation sécuritaire libyenne, et l’extrême faiblesse du pouvoir du premier ministre reconnu par la communauté internationale, Fayez Al-Sarraj. D’autres évoquent la tentation de faire monter les enchères, à quelques mois des élections européennes. « La Libye rançonne de nouveau l’Italie, et réclame plus d’argent pour arrêter les passeurs », titre ainsi en « une », lundi matin, le quotidien Il Fatto Quotidiano, proche du Mouvement 5 Etoiles.

Pendant ce temps, les cent migrants ont été ramenés vers la Libye. Ils sont actuellement dans le port de Misrata mais n’ont pas encore débarqué. Aucun bilan sanitaire de leur odyssée n’a été rendu public. Et le téléphone des « garde-côtes » libyens, financés par l’Union européenne, continue à sonner dans le vide.