Stefanos Tsitsipas, après sa victoire contre Roger Federer dimanche 20 janvier à Melbourne. / Mark Schiefelbein / AP

La petite phrase, sortie de la bouche de John McEnroe, a froissé Roger Federer. « Nous assistons à une passation de pouvoirs », s’est enflammé « Big Mac » après la victoire du grec Stefanos Tsitsipas, 20 ans, dimanche 20 janvier à Melbourne (6-7, 7-6, 7-5, 7-6). « J’adore John [mais] ça fait dix ans que j’entends ça… », a renvoyé le Suisse de 37 ans un rien vexé du haut de 20 titres du Grand Chelem.

La comparaison avec un certain 2 juillet 2001 n’a échappé à personne. Ce jour-là, celui qui n’était encore qu’un jardinier en herbe avait fait tomber à Wimbledon l’horticulteur en chef Pete Sampras, son idole, en huitième de finale – soit au même stade que Tsitsipas dimanche. Federer avait un an de moins de Tsitsipas et pointait, lui aussi, au 15e mondial. A l’époque, le Suisse portait le cheveu long. Et chacun s’extasiait déjà sur son revers à une main.

« C’est fou. Quelle coïncidence ! », a commenté le Grec aux boucles rebelles. Mais sur son revers, le cadet s’est longtemps cherché. « C’était un après-midi à l’entraînement, je devais avoir 8 ans. Je jouais des deux mains et parfois, je passais à un revers à une main. Mon coach m’a dit : “Stefanos, tu as joué toute la saison des deux façons, quand vas-tu te décider à faire un choix ?” Et ce jour-là, j’ai opté définitivement pour le revers à une main. C’était plus naturel, plus esthétique, plus dynamique », racontait-il au New York Times, en juin dernier.

« Depuis ce jour, je n’ai plus peur de rien »

Dimanche, les spectateurs de la Rod Laver Arena ont vu un joueur complet à l’œuvre. Grand (1,93 m) et plutôt fluet, le Grec a des airs (et pas seulement capillaires) de « Guga » Kuerten quand il se déplace - vite - sur un court. A ce revers délié, il ajoute un coup droit agressif qu’il sait varier avec différents effets, un service efficace à défaut d’être maousse et une certaine habilité à la volée. Face à Federer, Tsitsipas s’y est aventuré 68 fois avec une témérité qu’un John McEnroe n’aurait pas reniée : « Je dois admettre que je me suis inspiré de vous », l’a-t-il flatté devant son micro.

Pendant 3 h 45, le natif d’Athènes a rendu une copie presque parfaite. Plus encore que sa maîtrise technique, c’est sa solidité mentale qui a le plus impressionné, résumée par un chiffre : douze balles de break sauvées sur douze. Une qualité forgée à partir d’un épisode qui aurait pu virer au drame. Lors d’un tournoi Futures à Héraklion (Crète) en 2015, le jeune Stefanos avait failli se noyer en mer avec un ami, comme il le confiait fin août au Times.

« Mon père nous a aperçus au loin, il a sauté dans l’eau et nous a ramenés vers la rive. Il s’en est fallu de peu pour que nous y passions. [Cet épisode] m’a un peu secoué et m’a fait prendre conscience à quel point il y a des choses beaucoup moins importantes que d’autres dans la vie, développait-il. Je me suis rendu compte de la chance que j’avais eue d’avoir la vie sauve. (…) Depuis ce jour, je n’ai plus peur de rien. Cette expérience m’a aidé à devenir plus sage et plus fort physiquement et mentalement. »

L’ancien numéro un mondial junior est entraîné par son père Apostolos, qui a quitté son job de coach dans la banlieue chic d’Athènes pour accompagner son fils sur les tournois. Et à en croire la légende, le petit Stefanos était prédisposé à devenir tennisman. Sa mère, Julia Apostoli-Salnikova, ancienne joueuse de Fed Cup pour l’URSS, raconte que la sage-femme avait prédit une telle destinée pour son fils car il était sorti de son ventre le bras levé, à la manière d’un tennisman.

Avant d’opter pour le tennis, Tsitsipas s’est aussi essayé à la natation et au football, lui, le grand supporteur de Liverpool et petit-fils de Sergueï Salnikov, attaquant de l’URSS et champion olympique en 1956.

Premier Grec dans le Top 100

Le pensionnaire de l’académie Mouratoglou est venu s’ajouter à la liste des prodiges de la nouvelle génération appelés un jour à succéder au règne des Federer, Nadal et Djokovic en août 2018, à Toronto. Cette semaine-là, il déboule en finale de son premier Masters 1 000 après quatre victoires de rang sur des membres du top 10 : Dominic Thiem, Novak Djokovic, Alexander Zverev et Kevin Anderson. Seul Rafael Nadal – qu’il peut retrouver en demi-finale à Melbourne – l’empêche de soulever le trophée.

Deux mois plus tard, à Stockholm, il devient le premier Grec vainqueur d’un tournoi ATP. Au contraire de la diaspora grecque des années 1990 (Sampras, Philipoussis, etc.), Tsitsipas est profondément attaché au pays qui l’a vu naître. Outre Federer, son idole d’enfance était Konstantinos Economidis, 112e mondial au meilleur de sa carrière, en 2007. Dix ans plus tard, l’élève dépasse le maître en devenant le premier joueur grec de l’ère Open à entrer dans le Top 100 mondial.

Stefanos Tsitsipas apprend vite. L’an dernier, il a terminé sa deuxième année chez les professionnels par une victoire au Masters de la « Next Gen » réservé aux meilleurs joueurs de la saison âgés de 21 ans ou moins, en battant l’Australien Alex De Minaur. « C’est une machine à gagner qui met son âme sur le court », résumait Patrick Mouratoglou il y a quelques jours dans le quotidien belge La Dernière Heure.

De là à se hisser en finale en Grand Chelem dès cette année ? « Vu la vitesse à laquelle il progresse, c’est possible, estime le coach de Serena Williams. (…) Il a deux qualités monstrueuses : c’est un gros compétiteur et il a très faim. Il fait ça pour lui, il ne joue pas pour les autres et ça c’est rare. » Et avant Melbourne, vu sa surface de prédilection, beaucoup l’imaginaient briller à Wimbledon plus tôt qu’ailleurs.

A ce stade, le jeune homme a aussi les pieds sur terre. Après le premier grand exploit de sa carrière naissante, dimanche, il ne s’est pas emballé : « Je dois rester concentré sur les objectifs plus élevés que je me suis fixés. C’est un très bon début [mais] j’ai besoin de rester humble. » Stefanos Tsitsipas n’est peut-être pas encore tout à fait dans la cour des grands, selon Roger Federer, mais il n’en est plus très loin.