Des partisans du premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, à Washington, aux Etats-Unis, le 26 juin 2018. / BRENDAN SMIALOWSKI / AFP

Un dollar par jour. En juillet 2018, le premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, invitait sa diaspora à financer le développement du pays. Pour soutenir le rythme effréné de ses réformes, il leur demandait de donner l’équivalent d’« un macchiato » par jour. Cet expresso surmonté d’une mousse de lait est très apprécié des Ethiopiens.

Depuis le lancement officiel, fin octobre, d’un système de paiement en ligne, plus de 1,8 million de dollars (1,58 million d’euros) ont été collectés. Un bon début, selon le professeur Alemayehu Gebremariam, président du conseil consultatif de l’Ethiopian Diaspora Trust Fund (EDTF), l’organisation à but non lucratif chargée de récolter ces fonds. « Notre objectif est de faire de l’EDTF un mécanisme permettant à terme de sevrer l’Ethiopie de toute aide étrangère, explique-t-il. Jusqu’à quand pouvons-nous dépendre de la charité des autres ? »

Il y a moins d’un an, Alemayehu Gebremariam écrivait encore des chroniques au vitriol visant la coalition, au pouvoir depuis vingt-sept ans. Comme de nombreux membres de la communauté éthiopienne aux Etats-Unis, qui compte environ 250 000 personnes (sur une diaspora planétaire estimée entre 850 000 et 3 millions), il accusait le Front de libération du peuple du Tigray (TPLF) et ses affiliés d’accaparer les richesses et le pouvoir et de réprimer toute contestation populaire. Aujourd’hui, son soutien au nouveau premier ministre, arrivé au pouvoir en avril 2018, semble indéfectible.

Fuite des cerveaux

Libération de prisonniers politiques, arrestations d’officiers de l’armée et des services de sécurité accusés de corruption et de violations des droits humains… Les réformes d’Abiy Ahmed ont restauré un climat de confiance en Ethiopie. « Beaucoup de personnes estimaient que le TPLF avait entraîné le pays sur la voie des divisions ethniques et de la haine, observe Derese Getachew, docteur en sociologie. Abiy Ahmed considère, lui, que nous sommes tous Ethiopiens malgré les différences liées à notre appartenance communautaire. »

A l’étranger aussi, le message passe. En juillet, la diaspora américaine a succombé à une véritable « Abiymania » lors de la visite du premier ministre aux Etats-Unis. C’est d’ailleurs à cette occasion qu’il a exhorté tous les Ethiopiens de l’étranger – très nombreux en Amérique du Nord, en Arabie saoudite et en Israël – à rentrer dans leur pays d’origine afin de mettre fin à la coûteuse fuite des cerveaux et de soutenir ses réformes.

« Son appel était si attrayant que même les dirigeants des groupes armés ont accepté de rentrer » pour poursuivre la lutte pacifiquement, se réjouit Edris Mohammed, président de l’Association de la diaspora éthiopienne. Ils ont été accueillis en héros à Addis-Abeba en septembre. Des dissidents condamnés pour terrorisme ont également foulé le sol éthiopien après avoir été amnistiés, à l’image du bouillant Jawar Mohammed, dont la chaîne antigouvernementale Oromia Media Network, auparavant interdite de diffusion, a retrouvé une autorisation d’émettre.

« Poule aux œufs d’or »

Abiy Ahmed a compris qu’il valait mieux ménager ces Ethiopiens de l’étranger. Sans doute se souvient-il que certains militants se sont montrés capables, au cours des dernières années, de créer le chaos en quelques clics. Blocage de routes, appel au boycottage d’entreprises publiques et à l’interruption des transferts d’argent… Leurs campagnes sur les réseaux sociaux, plus ou moins suivies, ont souvent fait frémir les autorités.

Le pouvoir a aujourd’hui conscience de l’atout financier que représente la diaspora, dont les transferts d’argent par voie légale ont été divisés par deux entre 2014 et 2017. Avec 1,4 milliard d’euros en 2017, selon la Banque mondiale, l’Ethiopie se trouve loin derrière le Nigeria et l’Egypte, dont les émigrés ont envoyé respectivement 19,3 et 17,6 milliards d’euros depuis leur pays d’accueil. « La diaspora peut devenir une poule aux œufs d’or », martèle Edris Mohammed.

« Individuellement, de nombreux Ethiopiens de la diaspora ne sont peut-être pas très riches, mais collectivement, ils peuvent envoyer chaque année des milliards de dollars rien que depuis les Etats-Unis », explique Zemedeneh Negatu. Pour le président de la société d’investissement américaine Fairfax Africa Fund, les transferts d’argent devraient permettre au pays d’accroître ses réserves de change, lesquelles ne couvrent actuellement que 1,6 mois d’importations, selon la Banque mondiale.

Pas le droit de voter

L’offensive de charme d’Abiy Ahmed envers les membres de la diaspora comporte néanmoins quelques contradictions, selon certains observateurs. Si leurs dollars sont les bienvenus, il leur est interdit d’investir dans le secteur financier, même en tant qu’actionnaires minoritaires. Hormis quelques réductions sur les forfaits téléphoniques de l’opérateur étatique, sur les billets d’avion de la compagnie nationale, et la possibilité de souscrire à un prêt hypothécaire – toujours en dollars –, leurs maigres privilèges restent inchangés.

Ils n’ont pas le droit de se présenter aux élections ni celui de voter, contrairement à ce qui se fait dans une vingtaine de pays en Afrique, comme la Tunisie, le Mali et, plus récemment, le Burkina Faso. En Ethiopie, la diaspora n’a pas toujours bonne presse. La désignation en novembre de Billene Seyoum, d’origine éthiopienne mais de nationalité canadienne, comme porte-parole du premier ministre, a fait jaser sur les réseaux sociaux. De quoi « tirer la sonnette d’alarme » sur la question irrésolue de la citoyenneté, commentait sur Twitter le militant Jawar Mohammed, dans un pays où la double nationalité, pour l’instant impossible, fait débat.

« Vous ne pouvez pas dire, d’un côté, que vous avez besoin de l’aide des Ethiopiens de l’étranger, de leur argent et de leurs connaissances, et, de l’autre, que ce n’est pas leur pays. Si vous voulez utiliser ces personnes, vous devez également reconnaître leur citoyenneté. C’est la contrepartie », estime Berhanu Nega, chef de l’ancien groupe armé Patriotic Ginbot 7, dans un entretien accordé au Addis Standard.

Nécessaire transparence

Pour l’avocat Samuel Alemu, auteur de la chronique « Diaspora’s corner » dans l’hebdomadaire local The Reporter, il faut d’abord « renforcer la stabilité du pays et améliorer le climat des affaires » en Ethiopie, classée 159e sur 190 dans le classement « Doing Business » 2019 établi par la Banque mondiale. Le gouvernement devrait aussi permettre à la diaspora de « s’impliquer pleinement dans tous les aspects de l’économie, tels que les services financiers, les médias et le droit ». Un moyen d’encourager l’investissement et de susciter un véritable patriotisme financier.

Mais ne voir en la diaspora qu’une « vache à lait » serait une erreur. Pour Tsegaye Lemma, expert au Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), elle représente « un capital humain » non négligeable, « tout aussi important que son capital financier ». Celui-ci n’est d’ailleurs pas toujours élevé. « Au Moyen-Orient, la diaspora éthiopienne n’a pas forcément accès à Internet et à une carte de crédit », rappelle Tsegaye Lemma, qui pense que l’appel à donner un dollar par jour n’est pas viable sur le long terme. D’après lui, un fonds d’investissement serait plus attrayant qu’un fonds basé sur la charité d’une diaspora hétérogène et volatile.

De son côté, Alemayehu Gebremariam est persuadé que les Ethiopiens de l’étranger sont prêts à faire des dons « selon leurs moyens ». D’où l’importance d’assurer une transparence sur l’utilisation des fonds récoltés. D’autant qu’une enquête a révélé en novembre des malversations financières au cœur de Metals and Engineering Corporation, un conglomérat industriel dirigé par l’armée et chargé, jusqu’à l’été 2018, de la partie électromécanique et des structures hydrauliques en acier du futur barrage de la Renaissance – le plus grand d’Afrique –, dont les travaux ont pris du retard. La diaspora avait contribué à son financement en achetant 48,9 millions d’euros de bons du Trésor.