Arte, mardi 22 janvier à 20 h 50 et 21 h 45, série documentaire

Revue et corrigée, c’est sans doute la formule qui correspond le mieux à cette lecture d’étapes décisives de l’histoire contemporaine que proposent Olivier Wieviorka et David Korn-Brzoza dans cette brève collection de documentaires inédits. « Les Coulisses de l’histoire » entendent en effet moins raconter les dessous plus ou moins cachés d’épisodes-clés du XXsiècle que les mettre en perspective à la lumière des travaux historiques les plus récents. Ces quatre rendez-vous, réalisés par Christiane ­Ratiney, Bernard George, Cédric Condon et Philippe Saada, évaluent la valeur d’un Hitler stratège, les intentions réelles du plan Marshall, les raisons de la capitulation du Japon à la fin de l’été 1945 ou l’aveuglement méthodique de Mao.

Les deux premiers épisodes diffèrent sensiblement sur le fond. Hitler, l’art de la défaite déconstruit le mythe d’un Führer aux fulgurances stratégiques inouïes, qui, par un Blitzkrieg tenu pour un cas d’école, aurait emporté la mise contre l’avis de ses généraux au printemps 1940. Outre que l’option audacieuse ne lui en revient pas, suggérée par Erich von Manstein (1887-1973) et mise en œuvre par Heinz Guderian (1888-1954), jamais crédités, les quelques décisions arrêtées par Hitler, qui préférait s’en tenir à ses intuitions plutôt qu’à l’avis des professionnels de la guerre, s’avérèrent désastreuses. Depuis son apathie quand les Alliés furent piégés dans la poche de Dunkerque en juin 1940 jusqu’à son désir d’assiéger Leningrad, immobilisant des troupes qui ­firent cruellement défaut ailleurs.

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Boucs émissaires

Mésestimant systématiquement les capacités de ses ennemis, ne reconnaissant jamais ses erreurs pour mieux en imputer la responsabilité à des boucs émissaires tout trouvés, ces officiers héritiers de la tradition impériale, Hitler croit se sauver en rééditant le coup de l’offensive ardennaise à l’hiver 1944 quand son armée n’est plus que l’ombre d’elle-même. Les témoins qui parlent alors de lui comme d’« une épave », d’« une ruine humaine », laissent à penser que la haine de nombreux Allemands, dès la faillite de l’image du chef de guerre inspiré devenu « meurtrier de masse », a miné un homme imperméable au doute mais pas à l’effondrement psychologique.

Plus didactique, le second volet permet de comprendre, derrière l’apparente générosité d’un plan d’aide économique d’une ampleur inédite, proposé par le secrétaire d’Etat américain George Marshall (1880-1959) en juin 1947 aux pays d’Europe dévastés par la guerre, l’intention première des Etats-Unis de créer un marché solvable pour écouler les produits de leur industrie menacée de surproduction. Tout en s’assurant un réseau d’alliés dévoués face au risque d’une contagion communiste sur le Vieux Continent.

D’une qualité et d’une rareté appréciables, les archives captivent et saisissent quand le propos éclaire

Le Plan Marshall a sauvé l’Amérique résume dès son titre la distorsion entre la vulgate et la réalité de l’événement. Où l’on mesure que les Européens, sans être dupes de ce protectorat économique qui annonce le règne universaliste du modèle américain, ne peuvent que céder, et que les ripostes de Staline qui ­conduisent à une surenchère dont le blocus de Berlin dès juin 1948, puis la naissance des deux Allemagnes en 1949 ne sont que les fruits de cette mainmise qu’on tient pour un « miracle ». Jusqu’à valoir à son initiateur le prix Nobel de la paix en 1953.

D’une qualité et d’une rareté appréciables, les archives captivent et saisissent quand le propos éclaire. Une réussite.

Les Coulisses de l’histoire, série documentaire d’Olivier Wieviorka et David Korn-Brzoza (Fr., 2018). www.arte.tv